Lois Climat en France et en Allemagne : manque d'ambition partagé

Analyse

La loi de lutte contre le changement climatique en Allemagne de décembre 2019 et la loi Climat et résilience en France de janvier 2020 encore en discussion au Parlement ne sont pas, malgré quelques avancées, à la hauteur de la crise climatique.

Marche climat

Parallèle saisissant, ces deux lois s'avèrent déjà obsolètes au regard du Green Deal européen et du nouvel objectif climatique européen pour 2030 visant à réduire les émissions européennes de gaz à effet  de serre d'au moins 55%, objectif lui-même encore en dessous des efforts nécessaires à fournir pour limiter la hausse de la température globale à 1,5°C comme inscrit dans l’Accord de Paris de 2015. Toutes deux ratent l’opportunité de mettre la France et l’Allemagne sur la bonne trajectoire climatique, grippant dans le même temps le moteur franco-allemand sur le climat en Europe. Mais face à ces insuffisances flagrantes, les gouvernements français et allemand se font aujourd’hui rattraper par la société civile et la justice qui ont bien l’intention de ne pas manquer le rendez-vous du Green Deal européen. Décryptage. 

Deux jeunes lois sourdes aux dynamiques citoyennes jusqu'à ce que la justice s'en mêle...

En France, en passage au Parlement, la loi Climat et résilience est censée combler l’écart entre les politiques actuelles et l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de - 40% d'ici 2030 par rapport à 1990. Malheureusement, les analyses du Haut Conseil pour le climat montrent que la loi, couplée avec le plan de relance de la France, ne permettra pas d’atteindre l’objectif de - 40%. Seule la moitié de l’effort nécessaire serait réalisé.

Promulguée en décembre 2019, la loi fédérale de lutte contre le changement climatique (Bundes-Klimaschutzgesetz) fixe pour l'Allemagne l'objectif de neutralité climatique d’ici 2050 avec pour objectif intermédiaire à horizon 2030 une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55% par rapport à 1990. L'actuel Programme climatique 2030 ne permettant au mieux qu'une réduction de 51 à 52% des gaz à effet de serre d'ici 2030, selon les propres rapports du gouvernement (BMWi/Prognos et BMU/Öko-Institut), des réformes s'imposent. Davantage de mesures sont ainsi nécessaires pour atteindre des objectifs déjà insuffisants, notamment en matière d'énergie, de transport et d'efficacité énergétique.

Manquant cruellement jusqu’ici d’ambition climatique suffisante, les gouvernements français et allemands sont tous deux sous les feux des projecteurs pour ne pas avoir réussi jusqu’à présent à répondre aux attentes de leurs citoyens. Français et Allemands souhaitent que leurs gouvernements accélèrent la transition écologique : un récent sondage révèle que 61% des Français et 59% des Allemands veulent que leurs pays augmentent leurs objectifs climatiques pour répondre à la nouvelle ambition européenne. 81% des Français et 76% des Allemands aimeraient avoir des réglementations plus strictes sur le climat.

En Allemagne, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe s'est prononcée fin avril sur quatre procès en matière de climat intentés principalement par des jeunes d'Allemagne, du Népal et du Bangladesh, qui avaient fait valoir que les politiques climatiques du gouvernement actuel étaient insuffisantes pour protéger leurs libertés et droits fondamentaux. La Cour a reconnu que les générations d'aujourd'hui empiètent sur les libertés des générations futures en attribuant et en s'autorisant trop d'émissions de gaz à effet de serre jusqu'en 2030 : la loi sur la protection du climat a donc déplacé de manière inadmissible les fardeaux de la réduction d’émissions sur les générations futures. En effet, la Cour a acté que la lutte contre la crise climatique fait partie des droits fondamentaux et a reconnu qu'attendre et reporter les réductions radicales d'émissions à plus tard n'est pas conforme à l'article 20a de la Constitution, selon lequel l'État est responsable de la protection des fondements naturels de la vie pour les générations futures. La lutte contre la crise climatique doit donc dès aujourd'hui garantir que les générations futures aient encore une marge d'action. La Cour a ainsi déclaré que les législateurs doivent s'inspirer de la science et présenter des concepts cohérents de voies de réduction crédibles menant à la neutralité climatique. Elle a mentionné que la phrase 2 de l'article 3 (1) et la phrase 3 de l'article 4 (1) de la loi fédérale sur la protection du climat de décembre 2019 sont incompatibles avec les droits fondamentaux, et que le gouvernement ainsi que le Parlement doivent agir davantage et réviser la loi avant le 31 décembre 2022. Bousculée par la décision de la Cour, la coalition encore aux manettes à Berlin s’est empressée d’annoncer début mai un objectif de neutralité climatique dès 2045, avançant de cinq ans son objectif précédent. Dans une révision de la loi attendue très prochainement, le gouvernement a d'ores-et-déjà proposé de réduire les émissions de 65% d'ici 2030 (au lieu de 55% dans l’objectif annoncé en 2019) et d'introduire un nouvel objectif de réduction de 88% d'ici 2040. Si les objectifs ont été rehaussés, les mesures concrètes pour y parvenir manquent encore à l’appel. 

En France, en dépit d’une gouvernance climatique forte, des recommandations du Haut Conseil pour le climat, de la création de nouvelles formes de démocratie comme la Convention citoyenne pour le climat, le gouvernement est prisonnier d’une logique des petits pas qui privilégie les “codes de bonnes conduites” et les incitations aux normes et règles. Une approche trop lente et dangereuse pour le climat. Néanmoins, comme en Allemagne, le gouvernement pourrait être forcé par la justice à agir. L’Affaire du siècle, une campagne de justice climatique initiée par quatre ONG françaises devant le Conseil d’État, a abouti à reconnaître l’État fautif pour inaction contre le réchauffement climatique. Le surplus des émissions rejeté par la France cause un préjudice écologique. Une seconde audience pourrait obliger le gouvernement à revoir en profondeur sa politique climatique, voire rehausser l’objectif climatique de la France, trop faible au regard de ses engagements internationaux. Une affaire qui risque de rebondir suite à la loi climat.

... Et rattrapées par la dynamique européenne

Avec ces lois climat, ni la France ni l’Allemagne ne sont en mesure d’atteindre leurs propres objectifs pour 2030. L'objectif français est d’ores-et-déjà obsolète au regard du nouvel objectif climatique européen de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’Union d'au moins 55% d'ici 2030. L'objectif allemand tout juste révisé manque quant à lui encore de mesures à l'appui.

Les gouvernements français et allemand tardent trop à saisir l'opportunité du Green Deal européen à l'échelle nationale pour engager des transformations profondes. Faute d’anticipation et de leadership, l’Allemagne actualise sa loi en catastrophe et la France va devoir revoir à la hausse son objectif climatique pour répondre à la nouvelle ambition européenne, elle-même encore trop pâle au regard de l'objectif phare de l'Accord de Paris sur le climat visant à  limiter l'augmentation de la température globale à 1,5°C d'ici la fin du siècle. Pour cela, l'Allemagne devrait rehausser son objectif national de 55% à 70% et la France de 40% à 55% de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030. La marche est encore très haute.

En Allemagne, une loi tardive qui fixe quelques éléments essentiels mais encore limités

En marge des objectifs, citons au moins trois éléments notables de la loi de lutte contre le changement climatique de décembre 2019 :

  • Premièrement cette loi marque enfin la fin des programmes vagues, non contraignants et aux objectifs trop lointains. Le bras armé de cette loi, le Programme climatique 2030 (Klimaschutzprogramm 2030), s'attache à une action contraignante sur les prochaines années. Une révision rapide de ce programme s'impose au regard du nouvel objectif annoncé de - 65%.
     
  • Une deuxième avancée, laquelle fait suite à un long débat en Allemagne, est l'introduction d'un prix du CO2 dans des secteurs non-couverts par le marché carbone européen (EU-ETS) : chaleur et transports. Le gouvernement de coalition SPD-CDU-CSU a décidé de créer un marché national d’échange de certificats sur les émissions des produits combustibles (nationales Emissionshandelssystem, nEHS) et de fixer le prix du certificat de 2021 à 2025. Ces prix fixes  par tonne de CO2 par an jusqu'en 2025 ne sont cependant pas assez élevés pour avoir l'effet escompté en temps opportun (2021 : 25 euros/tCO2, 2022 : 30 euros/tCO2, 2023: 35 euros/ tCO2, 2024: 45 euros/tCO2, 2025: 55 euros/tCO2). En outre, l’acceptabilité sociale de ces prix n’est pas garantie, car s'ils restent inchangés, une augmentation rapide dans un laps de temps plus court (entre 2026 et 2030) sera nécessaire pour rester sur la bonne voie afin d’atteindre cet objectif. Encore insuffisant, ce nouvel instrument permettra cependant au prochain gouvernement, espérons-le, d'aller plus loin dans son ambition.
     
  • Troisième point souvent oublié mais qui a son importance: la gouvernance et le suivi des mesures. La loi prévoit un système de gouvernance précis sur l'application et le suivi de l'objectif climatique 2030, lui-même décliné par secteur, une nouveauté bienvenue car elle accroît la responsabilisation des ministères vis-à-vis des émissions dans les secteurs d’activité dont ils ont la charge. Les émissions annuelles des secteurs de l’énergie, de l’industrie, des transports et de l’agriculture sont suivies et revues chaque année. Si un secteur s'écarte de sa trajectoire de réduction, le gouvernement doit donner suite immédiatement et le ministère responsable doit présenter un programme d'actions immédiat de réduction de l'écart sectoriel dans un délai de trois mois. Un Conseil d'experts pour le Climat qui présente certaines similitudes avec le Haut Conseil pour le Climat en France a également été mis en place. Malheureusement, les fonctions de ce dernier restent encore limitées, l'examen annuel des émissions auquel il procède n'incluant pas les raisons du respect ou du non-respect des objectifs de réduction d'émissions (par exemple, le respect actuel des objectifs en raison de la pandémie de Covid-19). En outre, des projections devraient également être incluses dans son rapport annuel pour évaluer l'impact et la mise en œuvre des mesures dans les années suivantes, afin d'évaluer si l'Allemagne est sur la bonne voie à moyen et à long terme.

En France, une loi qui ouvre le débat, mais échoue à tenir la promesse démocratique de la Convention citoyenne pour le climat

La loi Climat et résilience française est le triste aboutissement d’un processus démocratique inédit et prometteur en Europe, mais gâché par le renoncement politique : la Convention citoyenne pour le climat. Alors que le Président de la République avait fait la promesse de reprendre les propositions des citoyens “sans filtre”, il est revenu sur sa parole et manque l’opportunité de proposer à la France des transformations de rupture nécessaires pour réellement accélérer la transition écologique tout en garantissant la justice sociale. La plupart des propositions des citoyens ont été balayées, quand celles qui restaient ont vu leur ambition se réduire à peau de chagrin. Certaines ont néanmoins réussi à se frayer un chemin dans le processus législatif et ouvrent des brèches qui devront inévitablement être renforcées à l’avenir. C’est le cas de l’interdiction de la publicité pour les énergies fossiles, qui crée un précédent. Cela même si cette mesure aurait dû aller plus loin et s’étendre notamment aux véhicules les plus polluants comme les SUV ou à l’aérien. Il en va de même pour l’interdiction des liaisons aériennes domestiques réalisables en moins de 2h30 en train. Cette mesure est insuffisante puisque dans les faits, elle ne fermera qu’une à trois liaisons aériennes en France. La loi ouvre également, bien que timidement, l’accompagnement des Français vers des changements de consommation. L’obligation pour les cantines scolaires de proposer au moins un menu végétarien hebdomadaire et l’obligation de proposer une alternative sans viande dans tous les espaces de restauration collective sous la responsabilité de l’État sont une occasion d’enclencher la baisse de la consommation de viande des Français et de se diriger vers un modèle d’élevage qui permette de répondre au principe “moins, mais mieux”. C’est une mesure qui est loin d’être symbolique dans un pays où l’agriculture est le second émetteur de gaz à effet de serre. La loi ouvre donc certaines brèches et amorce quelques changements, même s’ils sont trop faibles, trop lents et encore trop peu aboutis.

Pour le reste, elle passe à côté des chantiers du siècle : l’obligation de  rénovation thermique performante et globale des logements est rejetée. Pire, la loi marque un recul sur la performance à atteindre par les travaux de rénovation, avec l’atteinte de la classe C de l’étiquette énergétique considérée comme « rénovation performante ». Cela alors même que près de 12 millions de Français sont en situation de précarité énergétique. La fin de vente des véhicules les plus polluants  ne concerne qu’1 à 3% des véhicules mis sur le marché en 2030, alors que la loi devrait acter la fin de vente de tous les véhicules à essence et diesel à cet horizon. Il s’agit d’une occasion manquée au moment où de nombreux pays du monde poussent des transformations profondes du secteur automobile et prennent une avance considérable sur le véhicule à faible émission. De la même manière, la loi n’intègre pas la création d’une redevance sur les engrais azotés, pourtant au cœur des émissions du secteur agricole et à l’origine des pollutions de l’eau, de l’air et des sols.

 

Les gouvernements allemands en français font face à une double dynamique :  européenne avec le Green européen qui implique un partage des responsabilités entre les États-membres et une mise en oeuvre nationale forte ; et de la société civile qui utilise les outils de la justice comme dernier recours pour demander une accélération de la transition écologique afin d’éviter les pires impacts de la crise climatique. Les gouvernements devraient saisir cette opportunité unique pour anticiper et être à la tête de la révolution industrielle de l’écologie en Europe. C’est un choix sans regret et demandé par les citoyens qui souhaitent non seulement préserver les ressources communes, mais aussi les libertés et les droits fondamentaux qui en découlent.

Alors que Berlin est forcé de prendre la mesure des changements concrets à engager pour mettre en œuvre la transition écologique, à Paris, une session de rattrapage tardive, mais obligatoire, va vite s’imposer aussi.