Communautés d’énergie renouvelable, une première pierre de posée

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En préparation depuis des mois, le cadre réglementaire portant sur les communautés d’énergie renouvelable doit poser les bases d’un environnement favorable au développement de projets à gouvernance partagée. Cependant, pour les acteurs de l’énergie citoyenne, ce n’est qu’une partie du chemin qui a été faite.

Mairie

En novembre 2021, à l’occasion des deuxièmes Assises des énergies renouvelables citoyennes, Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, faisait l’annonce de dix mesures en faveur du développement des projets citoyens. Deux points avaient alors tout particulièrement retenu l’attention : un objectif emblématique de mille projets à gouvernance partagée supplémentaires d’ici 2028 (par rapport à la situation fin 2021) et l’arrivée prochaine d’un décret sur les “communautés énergétiques”. Si ce dernier point renvoie à une notion encore floue pour le grand public, il constituait l’une des annonces les plus importantes faites alors par la ministre. Une communauté d’énergie est une entité juridique dans laquelle citoyens, autorités locales et PME peuvent s’associer pour organiser toutes sortes de services énergétiques. C’est donc une forme de projet citoyen où l’on peut produire, consommer, stocker et vendre de l’énergie, y compris par des contrats d’achat d’électricité, autour d’un projet où la gouvernance doit être largement ouverte aux citoyens, collectivités ou petites entreprises locales. Ainsi, un projet qui n’aurait qu’un simple volet de financement participatif ne constituerait pas une communauté énergétique. Dans le contexte des énergies renouvelables, on parle de “communautés d’énergie renouvelable” (CER), un terme qui pose un cadre réglementaire de référence en France pour des opérations à gouvernance partagée qui, sur le terrain, se développent depuis une douzaine d’années. Timidement évoquées dans la loi énergie-climat de 2019, les communautés d’énergie renouvelable ont surtout été introduites dans le droit français avec l’ordonnance du 4 mars 2021. Ce texte est issu de la transposition de la directive européenne 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables. Toutefois, pour pleinement entrer en action, l’ordonnance doit être complétée d’un décret. Annoncé initiale- ment pour tout début 2022, le texte devait être envoyé courant mars au Conseil d’État pour une publication au printemps. 

Quels critères pour une CER ?
Une communauté d’énergie renouvelable (CER) a pour objectif premier de fournir des avantages environnementaux, économiques ou sociaux à ses membres ou son territoire d’implantation, et non pas de générer des profits. En termes de gouvernance, au moins 40 % des fonds propres et quasi- fonds propres d’une part, et des droits de vote d’autre part doivent être détenus par :
    1. au moins vingt personnes physiques ;

    2. ou une ou plusieurs collectivités territoriales ou groupements de collectivités ;


    3. ou une ou plusieurs PME autonomes (vis-à-vis de grands groupes).
Sur le critère de proximité géographique, les actionnaires cités ci-dessus doivent résider ou être localisés dans le département d’implantation du projet ou un département limitrophe.

Des communautés d’énergie pour quoi faire ?

Les communautés d’énergie renouvelable font donc partie de la grande famille des projets citoyens, mais avec des caractéristiques spécifiques, notamment en termes de gouvernance (voir encadré). Au-delà de leurs critères techniques, quel but servent-elles et quels sont les enjeux associés ? « Le fait d’avoir introduit les projets à gouvernance partagée dans la loi est une victoire pour tous ceux qui ont contribué à réaliser de tels projets au cours des dernières années. C’est une reconnaissance de ce qui a été fait sur le terrain », explique Alexis Monteil-Gutel, responsable des projets énergies renouvelables au sein du Cler – Réseau pour la transition énergétique. Ces communautés sont en effet l’un des moyens de favoriser l’acceptabilité par les populations locales des projets d’énergies renouvelables. « Pour la Commission européenne, il s’agit là d’un aspect très important pour les années à venir, insiste Alexis Monteil-Gutel. De plus, la notion juridique des communautés doit être un point d’appui. Les textes réglementaires doivent poser clairement leur définition et ensuite organiser un cadre de soutien renforcé et opérationnel pour favoriser la participation d’acteurs locaux à la gouvernance des projets renouvelables. » Mettre en place un cadre facilitateur pour les projets renouvelables à gouvernance locale, tel serait l’objectif des textes en préparation, avec pour point de mire les mille opérations supplémentaires d’ici 2028. Cependant, selon plu- sieurs acteurs de l’écosystème des projets citoyens en France, dont notamment le Collectif pour l’énergie citoyenne[1].

Parc éolien

Marion Richard, responsable de l’animation nationale à Énergie partagée, précise ce point : « Nous avons été entendus dans une partie de nos demandes, notamment sur le fait d’avoir une définition des communautés qui mettent des garde-fous pour identifier les projets réellement portés par des citoyens, des collectivités ou des entreprises autonomes. Mais le problème vient du fait que l’ordonnance de mars 2021 a été un copier-coller de la directive européenne. De ce fait, plusieurs éléments prépondérants et propres au contexte français sont absents du texte : en premier lieu la participation des sociétés d’économie mixte (SEM) aux CER. » C’est là un problème majeur puisque les SEM sont aujourd’hui le bras armé des collectivités pour bon nombre de leurs projets d’investissement. Ces structures ont de réelles compétences techniques et financières, et sans leur éligibilité aux futurs critères des communautés, beaucoup craignent que les textes ne soient qu’une coquille vide. Selon le Cler, l’explication à cette situation est simple « les SEM étant des entités spécifiques au droit français, elles n’étaient pas dans le texte de la directive européenne qui a ensuite été fidèlement transcrit dans l’ordonnance. La hiérarchie des textes réglementaires français fait que le décret à venir ne pourra pas corriger l’ordonnance déjà existante. » Ce point est reconnu par la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) du ministère de Transition écologique, comme l’explique Vincent Delporte, chef du bureau de la production électrique et des énergies renouvelables terrestres : « les entreprises publiques locales (EPL[2]) étaient initialement incluses dans le texte de l’ordonnance, mais ce point a été retoqué par le Conseil d’État car l’objectif était de transposer au plus près la directive européenne dans laquelle ne figuraient pas les EPL. » Pour Énergie partagée, « les choses ont été faites à l’envers. Les services du ministère auraient dû passer plus de temps à bien définir les mécanismes et les structures dans l’ordonnance pour préciser les détails d’application dans le décret. Sans les SEM, le risque est de voir les communautés d’énergie renouvelable se limiter à de petites opérations. »

Lever les contraintes

Autre manque relevé, celui du cadre facilitateur. Aujourd’hui, d’un point de vue juridique, il est difficile de voir l’intérêt pour une collectivité, ou un groupe de citoyens, d’opter pour le statut de communauté d’énergie plutôt que de codévelopper un projet avec un développeur privé ou chercher à porter l’opération de façon auto- nome. « On perd l’idée initiale qui était de simplifier les procédures pour un projet à gouvernance locale », déplore Lionel Guy, chef du service énergies renouvelables de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). La directive européenne était plutôt explicite sur ce point, demandant que les États membres octroient aux CER un accès facilité au financement ou veillent à l’élimination d’obstacles réglementaires et administratifs non nécessaires. Pour l’instant, les acteurs de l’énergie citoyenne observent que peu de choses sont traduites sur le terrain. Un constat que la DGEC veut tout de même tempérer : « parmi les dix mesures annoncées en novembre figuraient plusieurs points issus des demandes des professionnels, comme diminuer les coûts de raccordement électrique pour les petits projets (< 500 kW), pour faciliter le développement de projets citoyens. » Par ailleurs, le mécanisme du bonus participatif proposé dans les appels d’offres de Commission de régulation de l’énergie (CRE) offre une prime de rémunération pour les opérations à gouvernance partagée. Cependant, les structures portant les projets à gouvernance partagée ont rarement le profil pour déposer des dossiers auprès de la CRE, un dispositif bien plus taillé pour les développeurs professionnels. Pour le Cler, « Les projets à gouvernance locale sont aujourd’hui globalement exclus des appels d’offres. Il est donc important de construire des mécanismes de soutien adaptés pour permettre aux acteurs territoriaux de s’engager dans des opérations renouvelables de grande taille. Les guichets spécifiques aux projets citoyens seraient par exemple un bon outil ». L’argument est également poussé par Bruxelles mais en France cela se heurterait à un autre écueil, l’impossibilité de cumuler tarif d’achat public et d’autres aides publiques pour certains projets photovoltaïques. Or de nombreux projets citoyens ont besoin de subventions, souvent régionales, et depuis l’arrêté tarifaire du 6 octobre 2021, le cumul du tarif d’achat de l’électricité photovoltaïque et des soutiens des collectivités sur les installations solaires de 500 kW ou moins n’est plus possible.

Ainsi, le décret annoncé par Barbara Pompili ne serait-il qu’un rendez-vous raté avant même qu’il ait eu lieu ? Pas exactement. D’une part, comme l’a expliqué Alexis Monteil-Gutel, l’introduction des communautés d’énergie renouvelable dans le droit français est une belle reconnaissance du travail fait sur le terrain. C’était une étape nécessaire pour poser des définitions qui concourront à mieux identifier les réels projets à gouvernance partagée qui doivent être soutenus. D’autre part, la DGEC explique que dans le texte du futur décret, il sera dit que les collectivités territoriales pourront participer à des CER, soit directement soit via un établissement public. Dans ce cas, serait reconnue dans la gouvernance du projet la part détenue par une SEM. Cela pourrait résoudre l’épineuse question de l’éligibilité des entreprises publiques locales mais il n’est pas sûr que le Conseil d’État suive le texte du décret sur ce point. Si cela échouait, il faudrait alors attendre une nouvelle opportunité de modifier la loi, ce qui pourrait prendre des années. Par ailleurs, les discussions entre l’État et les professionnels se poursuivent sur le manque de mesures incitatives et facilitantes autour des communautés d’énergie renouvelable dans le futur cadre. Et sur ce thème, le Collectif pour l’énergie citoyenne ne manque pas de propositions. Citons par exemple la modulation des tarifs de soutien en fonction des zones géographiques et des gisements en énergies renouvelables, qui per- mettrait de mieux répartir les technologies renouvelables sur le territoire sans avoir besoin d’aider par des fonds régionaux, en plus des tarifs, le solaire dans le nord de la France ou l’éolien dans la partie sud. Le collectif propose aussi l’extension au département du rayon d’action des collectivités, aujourd’hui limité à la commune du projet et à celles limitrophes. Cela élargirait leur champ d’action et donc le potentiel des projets à développer. Le cadre français qui se met en place n’est donc pas encore l’aboutissement souhaité par les acteurs de l’énergie citoyenne, mais juste une étape et la DGEC en est consciente : « en 2021, nous avons travaillé en parallèle sur les questions “qu’est-ce qu’une communauté d’énergie” et “quels avantages cela procure”. Tout n’est pas encore parfait et le groupe de travail sur l’énergie citoyenne poursuit ses échanges. Nous continuerons à écouter les demandes et à voir comment nous pouvons les mettre en œuvre. »


[1] https://cler.org/association/nos-actions/ collectif-pour-lenergie-citoyenne (dont font notamment partie le Cler et Énergie partagée), le compte n’y est pas.

[2] Entreprises au service des collectivités locales et des territoires dont les SEM sont la principale forme.