Apparus de façon spontanée dans le paysage énergétique, les projets citoyens d’énergie renouvelable ont apporté une vraie valeur ajoutée à l’échelle locale. À l’heure où un cadre européen et national se pose, retour sur une dynamique aux profils multiples.
Projets coopératifs et citoyens, financement participatif, opérations en codéveloppement, projet à gouvernance partagée ou communauté d’énergie renouvelable… Au cours des dernières années, une série de nouveaux termes est venue fleurir le vocabulaire relatif aux réalisations en matière d’énergie renouvelable. Si tous ne renvoient pas aux mêmes réalités ils traduisent cependant un même phénomène : l’implication grandissante des citoyens et des collectivités dans la production d’énergie. La transition énergétique n’est donc pas seulement une évolution des technologies de production ou des modes de consommation de l’énergie, c’est aussi une refonte des modèles de portage des projets.
Les énergies renouvelables, par essence décentralisées, se prêtent naturellement à une mise en œuvre locale. L’appropriation de ces technologies par les populations locales qui en utilisent l’énergie est donc un développement logique. Historiquement cantonnés à un rôle de simple consommateur, les citoyens ont montré une motivation croissante pour être de véritables acteurs de la transition énergétique. Un néologisme est d’ailleurs apparu, pour désigner cette attitude, celui de “consommacteur”. Par ailleurs, la généralisation progressive de schémas de développement régionaux (SRCAE, PCAET ou Sraddet[1]) a poussé les collectivités à prendre une part de plus en plus active dans le pilotage des politiques énergétiques sur leur territoire.
Depuis plus de dix ans, on a pu ainsi observer en France, comme dans plu- sieurs autres pays européens (Pays-Bas, Belgique, Allemagne, etc.), l’émergence de nouvelles unités renouvelables où des étapes de conception technique, démarches administratives, communication, bouclage du financement ou même d’exploitation avaient été en totalité ou partiellement assurées par des groupes de citoyens et/ou des collectivités, associés ou non à des entreprises privées. Les changements profonds occasionnés par ce mouvement ont essentiellement porté sur deux critères clés : la participation financière et la gouvernance des projets. Les citoyens et les collectivités peuvent désormais être majoritaires sur ces deux aspects dans des opérations qui sont parfois de grande envergure. Dans les faits, la palette des degrés d’implication dans un projet participatif peut aller d’une simple ouverture d’une partie minoritaire du capital à l’épargne publique (crowdfunding) à la gestion collective d’un projet local. La diversité des modèles participatifs constitue donc une richesse pour répondre à ces attentes. Il est néanmoins essentiel de différencier les approches focalisées sur la seule participation financière et celles visant à impliquer durablement les acteurs locaux dans la gouvernance d’un projet, et c’est essentiellement sur ces dernières que cette publication va se pencher.
La diversité des modèles participatifs constitue une richesse, mais il est essentiel de différencier les approches focalisées sur la seule participation financière de celles impliquant durablement les acteurs locaux dans la gouvernance.
Aujourd’hui, s’il fallait retenir un vocable pour désigner ce mouvement, celui de “projet citoyen” semble être le plus adapté. Le terme a été introduit dès le tournant des années 2010 par la charte de l’association Énergie partagée, l’une des principales structures françaises d’accompagnement des projets participatifs. Le terme désigne des projets qui répondent à quatre principes : un ancrage local qui vise la création de circuits courts entre producteurs et consommateurs, une finalité non lucrative en faveur d’une éthique de l’économie sociale et solidaire, une gouvernance démocratique de type coopérative et un engagement réel pour la préservation de l’environnement.
Des Projets aux profils différents
Cependant, même au sein de la catégorie des projets citoyens, des typologies d’opérations différentes peuvent être observées. On peut en effet distinguer des projets de petite taille, essentiellement réalisés autour de petites toitures photovoltaïques, initiés, financés et maîtrisés par des groupements de citoyens. Typiquement, cela peut correspondre aux Centrales villageoises, un mouvement initié au même moment qu’Énergie partagée. Elles se définissent comme des sociétés locales à gouvernance citoyenne et s’inscrivent dans une logique de territoire. Autre type de projets citoyens, ceux développés directement par une entreprise publique locale avec ou sans implication d’un groupement de citoyens. Par exemple un projet porté par une société d’économie mixte (SEM) pour le compte d’une collectivité. L’intérêt pour la collectivité est alors de piloter directement le développement de filières sur son territoire.
Un dernier type peut être celui des opérations de taille industrielle réalisées en codéveloppement, le plus souvent entre une collectivité et un développeur industriel. Nous sommes ici dans des réalisations de grande envergure, généralement plus d’un mégawatt de puissance, mais qui restent marginales dans le paysage des projets citoyens. Pour l’acteur public, ce modèle permet d’avoir un rôle actif dans une planification énergétique territoriale sans en porter seul l’investissement. Pour l’acteur privé, c’est un levier pour faciliter l’acceptabilité du projet.
Un cadre se pose enfin
Combien y a-t-il de projets de ce type aujourd’hui en France ? Il est bien difficile de répondre à cette question. Si les opérations faites en accompagnement d’Énergie partagée ou suivant le modèle des Centrales villageoises font l’objet d’un suivi (266 opérations labellisées dans le premier cas à fin 2021 et 375 centrales dans le second), beaucoup d’autres ont été menées hors de ces cadres.
Initiés il y a plus de dix ans en France, mais parfois depuis plus longtemps dans d’autres pays européens, les projets citoyens ont obtenu peu à peu une réelle reconnaissance politique. En 2018, la directive européenne sur les énergies renouvelables reconnaît pour la première fois explicitement l’intérêt des projets participatifs et des “communautés d’énergie renouvelable”, consacrant l’originalité et la valeur ajoutée des modèles participatifs en tant que vecteurs d’appropriation locale de la transition énergétique.
En mars 2021, une ordonnance est venue retranscrire dans la loi française cette directive en en reprenant très fidèlement les définitions. Quelques mois plus tard, le ministère de la Transition écologique a présenté une série de dix mesures aux bénéfices des énergies renouvelables citoyennes avec un objectif phare : développer mille projets citoyens supplémentaires d’ici 2028, pour une puissance totale estimée à 2,5 GW et une production de 5 TWh/an. Ces projets placeraient le pays dans le rythme pour atteindre un seuil de 15 % d’énergies renouvelables citoyennes en 2030, objectif préconisé par le Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Un cadre se pose enfin. Toutefois, son absence n’a pas empêché la dynamique des projets citoyens de prendre de l’ampleur, ouvrant au passage des enjeux nouveaux en matière de calibrage des instruments politiques. Face à ce foisonnement de modèles et à l’importance que revêt l’implication locale pour la réussite de la transition énergétique, l’élaboration d’une véritable stratégie nationale en faveur des projets participatifs d’énergies renouvelables est désormais une réelle nécessité.
Afin de rendre compte de cette dynamique, cette publication vise à fournir un état des lieux en s’intéressant à l’écosystème sur lequel elle se développe, les outils mis en œuvre mais également les attentes des acteurs de ce mouvement qui va de plus en plus compter dans la transition énergétique.
[1] Schéma régional climat air énergie, Plan climat air énergie territorial et Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires.