Les développeurs à l’heure de la gouvernance partagée

Interview

Pour les développeurs privés, les projets participatifs sont également une nouvelle donne avec laquelle il faut compter. Si la notion de codéveloppement est de plus en plus commune, la notion de gouvernance locale est plus difficile à envisager dans le cas de projets très capitalistiques.

Le parc photovoltaïque d’Alzonne (Aude), 4 MW de puissance, inauguré en janvier 2019

Du côté des structures orientées vers l’accompagnement de projets citoyens, les développeurs privés énergie renouvelable sont aussi des partenaires majeurs, notamment dans le cas de sites d’envergure. Toutefois, l’approche participative constitue une révolution culturelle pour ces acteurs dont le mode de fonctionnement est généralement de disposer des pleins pouvoirs. Comment ces entreprises s’accommodent-elles de projets où une part importante, voire la majorité du capital comme du pouvoir décisionnaire peut être du côté des collectivités ou de groupements citoyens ? Sur cette question, groupe, qui exploite aujourd’hui plus de 500 MW dans l’éolien, le solaire ou l’hydraulique, a été un pionnier du financement participatif en initiant la première opération du genre en France dès 2012. L’entreprise a depuis cherché à répondre à la volonté grandissante des collectivités en réalisant de nombreuses opérations en codéveloppement. Toutefois, le profil des communautés d’énergie renouvelable (CER) tel qu’il se dessine dans l’ordonnance de mars 2021, semble être encore une limite difficile à franchir.

Dans la mesure du possible nous souhaitons garder la majorité à 51 % sur nos projets en codéveloppement. C’est un point qui peut parfois être compliqué dans les négociations […]Nous voulons que les choix stratégiques restent entre nos mains, mais dans tous les cas, toutes les décisions sont transparentes.

 

Discussion avec Claudio Rumolino, responsable des investissements participatifs chez Valorem :

Claudio Rumolino
Antonio Rumolino, responsable des investissements participatifs chez Valorem

Quel a été le cheminement de Valorem sur la thématique des projets participatifs ?

Dès 2010, nous avons cru à la nécessité de mettre en place des offres de financement participatif. En nous inspirant du modèle danois qui demandait une participation citoyenne minium à hauteur de 20 % de l’enveloppe totale, nous avons lancé la première offre en France de financement participatif en 2012 en partenariat avec le Crédit coopératif. Cela nous a permis de réunir des fonds en substitution des fonds propres avancés par Valorem pour le parc éolien d’Arfons dans le Tarn avec un projet d’épargne spécifique réservé aux riverains du parc. Le succès de cette opération nous a encouragés à creuser le sujet. Depuis, nous avons conduit plus de 70 opérations de ce type pour un total levé de plus de 17 millions d’euros. Aujourd’hui, les mairies sont très intéressées par la gouvernance partagée et le codéveloppement. Beaucoup ont compris l’intérêt de ces projets et nous demandent la possibilité d’entrer au capital de nos projets. C’est pourquoi lorsque nous prospectons des territoires, nous proposons d’emblée une participation aux collectivités à hauteur de 10 %. Cette part peut cependant être bien supérieure.

Comment se passent les premières approches d’un partenariat ?

Nous essayons de démarcher les territoires par le biais des sociétés d’économie mixte (SEM). Ce sont pour nous les meilleurs interlocuteurs car ils parlent notre langage. Ils n’ont pas peur des montants d’investissement à mobiliser et comprennent ce qu’est la complexité de développer un projet. Mais il arrive également que ce soit un groupement citoyen qui nous sollicite. Cela a notamment été le cas dans le projet d’Andilly (près de La Rochelle) ou des citoyens associés à la mairie et à la communauté de communes souhaitaient développer un site éolien. Nous avons été sélectionnés après l’audition de cinq candidats. Après moult discussions, il en est ressorti un projet détenu à 49 % par les acteurs locaux et à 51 % par Valorem. Nous sommes typiquement dans le cadre d’une association capitalistique entre des collectivités, des citoyens, un fonds d’investissement régional et un développeur privé.

Comment travaillez-vous concrètement avec les collectivités et les citoyens ?

On cherche des gens motivés et prêts à s’impliquer réellement et on peut se répartir les tâches. En plus d’apporter la construction, l’installation, l’exploitation, nous apportons l’ingénierie financière, le montage de projet, etc. Ça fait beaucoup de compétences qu’il est rare de trouver chez des bénévoles. Lorsqu’on signe un contrat de codéveloppement, il faut décortiquer les tâches et les partager. Les collectifs locaux en général, c’est la concertation avec les territoires qui leur revient où ils ont une vraie valeur ajoutée. Par exemple, sur le projet d’Andilly, nous avons eu affaire à des gens vraiment motivés qui sont allés solliciter le fonds régional. Mais on garde quand même la main sur la majorité des tâches. Ce n’est pas notre rôle de faire monter en compétences ces collectifs. C’est là que des organismes comme Énergie partagée sont très utiles.

Comment vous positionnez-vous vis-à-vis des projets de type communautés d’énergie renouvelable, tels que définis dans l’ordonnance de mars 2021 ?

Les caractéristiques de ces communautés sont très proches de celles des cahiers des charges de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour obtenir le meilleur bonus dans le cas d’une gouvernance partagée (voir encadré ci-contre). Si nous nous associons à des acteurs du territoire qui remplissent ces exigences, dans tous les cas nous serons limités à 40 % maximum du capital et cela nous contraint fortement. Dans la mesure du possible nous souhaitons garder la majorité à 51 % sur nos projets en codéveloppement. C’est un point qui peut parfois être compliqué dans les négociations. On essaye d’expliquer pourquoi, d’après nous, il est important que la gestion de projet soit avant tout une affaire de professionnels. Il faut pouvoir réagir vite, avoir de l’expérience dans le montage et l’exploitation. Nous voulons que les décisions stratégiques restent entre nos mains, mais dans tous les cas, à partir du moment où les acteurs du territoire sont présents au comité de pilotage ou au conseil d’administration, toutes les décisions sont transparentes, on ne peut rien cacher à nos partenaires.

Le cadre qui va se poser en France ne vous inciterait donc pas à aller vers des communautés d’énergie renouvelable…

Mais rien ne nous empêche de continuer à développer des projets ayant une part de participation citoyenne importante, même s’ils n’entrent pas exactement dans le cadre des CER. Nous avons de nombreux projets qui ont des dimensions sociales qui débordent largement le cadre de la simple fourniture d’électricité. Par exemple, nous avons introduit dans certaines opérations des clauses d’insertion qui stipulent que nos sous-traitants doivent réserver un volume d’heures pour embaucher des chômeurs du territoire. Nous l’avons expérimenté en 2015 dans le Médoc, et depuis, on le fait presque systématiquement. Aujourd’hui, lorsque l’on va voir des élus, nous avons trois arguments clés : l’ouverture à l’investissement aux collectivités et aux citoyens, les clauses d’insertion et les offres vertes, c’est-à-dire des tarifs préférentiels pour les riverains via des partenariats avec des fournisseurs comme Enercoop.

 

Critères du bonus participatif
Une part minimale de fonds propres ou quasi-fond propres et des droits de vote des citoyens ou des collectivités de 40 % au minimum. En l’absence de collectivité, le nombre minimal de citoyens financeurs doit être de 30 et aucun autre associé ou actionnaire ne peut détenir directement ou indirectement une fraction des droits de vote supérieure ou égale à 40 %. C’est le cas lorsque la note de 4 points de bonus est visée.
Les clauses sociales d’insertion, l’emploi avec les énergies vertes
Développé dans les années 1990, essentiellement dans le cadre de la commande publique pour les opérations de construction, le dispositif des clauses sociales d’insertion est un outil assez peu connu du secteur privé. Ce dispositif juridique permet d’intégrer des considérations liées à la lutte contre le chômage et les exclusions dans les appels d’offres publics. Il favorise ainsi l’accès des structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) à la commande publique et inspire également les entreprises pour développer leurs achats responsables. Cette clause impose qu’un minimum d’heures travaillées lors de la construction d’une opération soient effectuées par des personnes qui étaient jusqu’ici en dehors du marché du travail.
Depuis 2017, Valorem a décliné ce dispositif afin de développer la dimension sociale de ses opérations. Valorem s’est imposé une nouvelle obligation de moyens en appliquant la clause à tous ses chantiers de parcs photovoltaïques réalisés en France et en demandant à ses sous-traitants d’intégrer des personnes éloignées de l’emploi pour un minimum de 7 % des heures travaillées. Pour cela, le développeur contractualise avec un organisme facilitateur qui vérifie que les entreprises sous-traitantes rem- plissent bien les modalités de la clause dans l’acte d’engagement.
« Commercialement, cela peut permettre de se démarquer des offres de concurrents, mais l’objectif principal est de créer de la valeur pour et avec les territoires », explique Marie Bové, responsable des relations publiques chez Valorem. Cet outil dynamise l’emploi dans le monde rural et permet également de favoriser le dialogue entre des acteurs de milieux divers et souvent cloisonnés, par exemple entre les PME et les associations locales d’accompagnement. « Généralement, les petites entreprises n’ont pas de service de ressources humaines et cette clause peut les aider à recruter puisque la sélection des personnes en insertion est faite par des structures accompagnantes. Elles vont ensuite pouvoir tester ces personnes pendant plusieurs mois sur les chantiers à l’issue desquels les entreprises, si l’expérience est concluante, pourront leur proposer un contrat pérenne. Ainsi, si au début la clause peut être vue comme une contrainte, souvent ces entreprises s’aperçoivent que cela peut également être une opportunité. » Entre 2017 et 2021, Valorem a intégré cette clause dans 17 de ses projets photovoltaïques pour un total de plus de 31 000 heures sociales réalisées. Ce volume a représenté 16 % des heures totales de chantier des opérations, soit un niveau bien supérieur aux 7 % minimum. En effet, la plupart des personnes ayant donné satisfaction, leur contrat a été prolongé. Le parc photovoltaïque de La Tour blanche (Dordogne), mis en service en 2021, est un bon exemple à cet égard. Codéveloppé avec la société d’économie mixte SEM 24 Périgord Énergies et ayant profité du financement participatif de 76 citoyens, le chantier a intégré 732 heures effectuées par cinq salariés grâce à la clause d’insertion signée avec la Maison de l’emploi du Grand Périgueux. « Un jeune a notamment pu décrocher son premier contrat de travail dans le gardiennage, passer son permis de conduire et accéder au logement grâce à l’évolution de sa situation professionnelle. Une belle réussite ! »
Aujourd’hui, Valorem souhaite aller plus loin et milite pour que ces clauses soient directement intégrées dans les cahiers des charges des appels d’offres organisés par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour inciter les opérateurs à jouer le jeu en contrepartie d’un bonus.