Enercoop, de l’énergie citoyenne à revendre

Interview

Depuis plus de quinze ans, Enercoop soutient activement le développement des énergies renouvelables à travers un système original et militant. Le thème des projets citoyens s’intègre donc parfaitement dans l’approche de la coopérative avec, comme fil conducteur, l’idée que l’électricité doit être un bien commun. Entretien avec Eugénie Bardin, responsable des affaires publiques au sein d’Enercoop.

Lancé en 2002, le site de Béganne (8MW - Morbihan) est devenu en 2014 le premier parc éolien citoyen réalisé en France.
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Lancé en 2002, le site de Béganne (8MW - Morbihan) est devenu en 2014 le premier parc éolien citoyen réalisé en France.

Interview avec Eugénie Bardin, responsable des affaires publiques au sein d’Enercoop :

Eugénie Bardin, responsable des affaires publiques au sein d’Enercoop
Eugénie Bardin, responsable des affaires publiques au sein d’Enercoop

Enercoop est désormais un acteur reconnu en France, mais pouvez-vous rappeler ses spécificités ?

Enercoop a été fondée en 2005 par des acteurs en partie issus de l’économie sociale et solidaire comme Hespul, le Cler, Greenpeace ou la coopérative de finance solidaire la Nef. La volonté était alors de proposer une alternative citoyenne dans la fourniture d’électricité avec l’idée forte que l’énergie doit rester un bien commun. Il y avait donc, dès le départ, une dimension écologique et sociétale dans la démarche en plus de son aspect énergétique. Nous proposons une électricité 100 % renouvelable et 0 % nucléaire car nous ne figurons pas sur la liste des fournisseurs d’électricité acceptant de s’approvisionner par l’Arenh[1]. Même si les électrons qui sont consommés in fine par nos clients sont ceux du réseau électrique français et donc avec un mix à 70 % de nucléaire, nous nous engageons à acheter auprès de nos producteurs d’énergies renouvelables l’équivalent de la consommation de nos clients. Nous disposons d’un statut coopératif et nous sommes organisés en réseaux de onze coopératives. Il y a Enercoop Paris et dix Enercoop locales et autonomes qui couvrent l’ensemble du territoire métropolitain.

D’où provient l’électricité que vous vendez à vos clients ?

Notre approvisionnement se fait en direct auprès d’environ 400 producteurs en France auxquels nous achetons l’électricité à des parcs hors soutien public ou bien sous mécanisme de soutien public – sous complément de rémunération ou obligation d’achat car nous sommes reconnus comme acheteur agréé depuis 2017. Avec notre modèle de contrat direct, nous garantissons à nos clients que l’argent versé à Enercoop sera fléché sur des producteurs d’énergies renouvelables en France. Il y a donc un circuit court financier et énergétique.

Quelle place prennent les projets citoyens dans l’ensemble de votre fourniture ?

Dans notre portefeuille d’approvisionnement, environ la moitié de nos parcs de production sont des projets citoyens. Cependant, en termes de puissance c’est beaucoup moins, car il y a beaucoup de petits projets dans le lot. Par ailleurs, il est important de préciser ce que l’on entend par “projets citoyens”. Nous faisons bien la différence entre participation au capital et à la gouvernance. Pour nous, la notion d’investissement participatif (avec une notion de gouvernance) est distincte du simple financement participatif. Le profil type des projets locaux avec lesquels nous contractualisons est généralement celui d’un site photovoltaïque où les citoyens sont impliqués via une association de préfiguration qui devient ensuite une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) dans la plupart des cas. Nous sommes également partenaires de sites beaucoup plus grands comme dans le cas du parc photovoltaïque de la Tour blanche en Dordogne qui développe une puissance de 5 MW et avec lequel nous avons signé un contrat d’achat de gré à gré sur une durée de trente ans. Le projet a été développé par Valorem mais nous sommes également entrés au capital (par l’intermédiaire d’Enercoop Nouvelle-Aquitaine) ainsi que la société d’économie mixte 24 Périgord Énergies.

De quelle façon accompagnez-vousles projets citoyens ?

Généralement nous leur achetons leur énergie à un prix supérieur à celui du marché. Autour de 80€ ou 100€ le MWh alors que le marché était plutôt autour de 60 € avant la crise de 2021. Cela participe à la visibilité économique de ces projets car nous proposons aussi à certains projets une contractualisation longue sur vingt ou trente ans. Nous sommes ainsi très complémentaires d’organismes comme Énergie partagée qui sont surtout sur le côté amont. Ils accompagnent les projets dans leur structuration en les guidant sur le plan administratif ou technique. Le fonds Énergie partagée investissement est par ailleurs un outil précieux qui peut intervenir sur le volet financier. Mais nous pouvons également être à l’initiative de projets puisque plusieurs coopératives Enercoop régionales développent elles-mêmes leurs propres sites de production renouvelable, et Enercoop nationale (à Paris) s’engage actuellement également dans cette voie-là. Au niveau régional, c’est par exemple le cas de la coopérative de Midi-Pyrénées qui a développé neuf parcs solaires pour plus de 2 MW de puissance. Comprise en général entre 150 et 250 kW, chacune de ces installations a été financée grâce au capital social de la coopérative. Ainsi, les clients sociétaires de la coopérative sont à la fois producteurs et consommateurs d’une énergie renouvelable locale.

Quel intérêt les projets citoyens revêtent-ils pour Enercoop ?

Cela nous renvoie une nouvelle fois à l’idée que l’électricité doit rester un bien commun. Nous souhaitons donner aux consommateurs une voix dans les décisions de leur fournisseur. On retrouve donc l’idée d’une gouvernance partagée et de la lucrativité limitée propres aux coopératives, les projets citoyens font totalement écho à notre approche. Comme nous, ils cherchent à créer des circuits financier et énergétique courts. Donner la possibilité à nos clients de consommer de l’électricité issue de parcs qui portent les mêmes valeurs fait sens. Nous développons d’ailleurs des offres d’électricité qui proposent à des citoyens de soutenir via leurs factures des sites renouvelables identifiés, à proximité de chez eux ou non (exemple : l’offre “électricité des Mauges” en Anjou, adossée à un projet éolien citoyen). 

Toitures solaires installées sur la commune de Malaunay
Vu de l’une des neuf toitures solaires installées sur la commune de Malaunay (Seine-Maritime), qui produisent environ 250 MWh par an.

Les projets citoyens permettent-ils de faciliter l’acceptabilité des projets par les populations locales ?

Quand les citoyens sont actionnaires du site renouvelable, cela peut certes aider l’acceptabilité mais on ne peut pas réduire à cela l’intérêt de l’énergie citoyenne. Le mouvement tire également sa richesse des liens sociaux et économiques qu’il crée. Une étude d’Énergie partagée a montré qu’un euro investi dans un projet citoyen générait deux euros et demi au tissu économique local. Cela peut être une partie de la solution, mais nous sommes vigilants à ne pas limiter le débat de l’énergie citoyenne à la seule question de l’acceptabilité. Cela va bien au-delà. Nous cherchons surtout à boucler des boucles locales. Des citoyens ont été à l’initiative de projets et des populations locales vont pouvoir consommer l’électricité de ces parcs.

Comment sont perçus aujourd’hui les projets citoyens par les acteurs standards de l’énergie ?

Le modèle coopératif implique un aspect lucratif limité. Par exemple, dans les statuts d’une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), il faut qu’un minimum de 57,5 % des bénéfices annuels soient reversés dans l’objet social de la structure. C’est donc autant qui ne peut être versé à des actionnaires. Pour les acteurs traditionnels de l’énergie, qui est un secteur à forte intensité capitalistique, l’approche est toute différente. Ce simple point suffit à ce que la majorité des développeurs d’opérations “standards” voient encore les projets à gouvernance partagée comme des ovnis malgré leur visibilité grandissante dans le paysage énergétique. C’est la même chose au niveau des banques qui ne sont pas encore à l’aise avec la dimension d’une gouvernance citoyenne. En matière de financement, nos partenaires récurrents sont notamment le Crédit coopératif, la NEF et Triodos, une banque néerlandaise.

Selon vous, quelle va être la dynamique des projets citoyens en France dans les années à venir ?

Le mouvement va s’amplifier, c’est certain, mais la vitesse de développement va dépendre des mesures d’accompagnement. En France, cela va notamment passer par le cadre réglementaire qui se met actuellement en place avec l’ordonnance de mars 2021 et le décret à venir sur les communautés d’énergie renouvelable. Nous faisons partie du collectif Énergie citoyenne[2] qui depuis 2017 rassemble une douzaine de partenaires pour harmoniser les positions des acteurs de l’énergie citoyenne et faire des propositions aux pouvoirs publics. À travers ce collectif, nous avons été associés aux travaux de préparation du futur cadre sur les CER. Si les articles définissant les communautés d’énergie dans l’ordonnance sont satisfaisants, le fait que les sociétés d’économie mixte ne puissent pas être éligibles au montage d’une communauté d’énergie pose un sérieux problème. Sans elles, les projets d’envergure seront beaucoup plus difficiles à monter. Le cadre doit être facilitant, sinon il aura peu d’impact et nous allons perdre du temps.

 


[1] Accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Ce dispositif permet à tous les fournisseurs alternatifs de s’approvisionner en électricité auprès d’EDF dans des conditions fixées par les pouvoirs publics.

[2] https://energie-partagee.org/collectif-citoyenne-participative