Créée dans les grandes années du mouvement citoyen en Allemagne, la coopérative Energiegenossenschaft de Leipzig a réalisé trois installations solaires entièrement portées par son collectif. La genèse, les motivations et les doutes de cette aventure citoyenne rappellent beaucoup ce qui est vécu aujourd’hui par des projets similaires en France.
Que ce soit en France ou en Allemagne, les projets citoyens renouvelables ont souvent un premier point commun : le fait que la communication soit assurée par des bénévoles qui donnent beaucoup de leur temps libre pour cela. Dans le cas de l’Energiegenossenschaft Leipzig (coopérative énergétique de Leipzig) c’est Stefan Röder, sociétaire depuis 2014 et membre du comité directeur, qui nous présente l’aventure commune. Le mouvement prend naissance en 2013 autour d’un groupe d’une vingtaine de citoyens de la ville de Leipzig et de ses environs. Leur objectif est simple, participer à la dynamique des coopératives, alors très populaires en Allemagne, pour apporter leur propre contribution à la transition énergétique du pays.
Aujourd’hui, nous avons environ 200 membres et le bouche-à-oreille nous amène du monde mais nous refusons d’intégrer de nouvelles personnes car nous ne savons pas comment utiliser le capital qu’elles vont nous apporter.
Leur choix s’oriente rapidement vers un projet dans les énergies renouvelables et d’emblée, la technologie du photovoltaïque s’impose. Ce marché est alors en pleine croissance en Allemagne, les sites d’implantation ne manquent pas et la multiplicité des types d’installations permet de mettre le pied à l’étrier sans se lancer dans un business model trop risqué ou complexe. De plus, sur le plan financier le secteur bénéficie alors d’un tarif d’achat d’environ 15 centimes d’euro pour chaque kWh injecté sur le réseau pour une installation de moins de 100 kW. Globalement, les données du problème sont jugées satisfaisantes et la coopérative se lance dans un premier projet mais avec tout de même une ligne de conduite bien dans l’approche “énergie citoyenne”. En effet, le fil rouge du collectif est la maîtrise de l’opération tout au long des différentes étapes de son montage.
L’autonomie comme modèle
Ainsi, pour le financement, c’est un appel à l’épargne au sein des adhérents sociétaires de la coopérative qui permet de réunir les 50 000 euros nécessaires. Même traitement pour toutes les phases de préparation administrative et technique : les compétences combinées des membres du collectif permettent la réalisation de l’opération. La coopérative ne fera donc appel à aucun bureau d’études techniques ni à aucune banque. Ce désir d’autonomie, de faire soi-même, est un trait commun avec les projets décrits en France. L’énergie citoyenne est un puissant vecteur de montée en compétences ou d’acquisition de savoir-faire. Même la ville de Leipzig ne va pas participer au projet. Mais dans ce dernier cas, ce n’est pas le fait du collectif qui, au contraire, regrette plutôt ce rendez-vous manqué « nous avons eu plusieurs discussions avec la ville qui a généralement une politique de partenariat avec les coopératives qui œuvrent sur son territoire. Mais dans notre cas, cela n’a pas abouti. Ils nous ont dit qu’ils n’avaient pas besoin de l’énergie de notre projet. Nous avons donc fait sans eux ».
Bien sûr, la démarche d’autonomie a atteint sa limite lorsqu’il a fallu installer les équipements sur le toit du bâtiment. Cependant cette tâche a été confiée à une entreprise de la région avec le souci de favoriser les retombées économiques locales. Là aussi, nous retrouvons une caractéristique récurrente des projets citoyens.
L’aboutissement de cette aventure se concrétise en juin 2015 avec la mise en service d’une installation photovoltaïque de 86 kW implantée sur l’un des bâtiments de l’Hupfeld Center de la ville (le centre d’affaires). L’électricité générée est valorisée par un contrat de gré à gré négocié avec l’une des entreprises occupant le bâtiment. Une société d’imprimerie achète la plus grande part des 75 MWh solaires produits chaque année et seuls les MWh non consommés lors des week-ends sont vendus au réseau électrique de la ville. Pour l’équipement, c’est un modèle de leasing qui a été choisi. Les panneaux, comme l’ensemble du matériel solaire, sont la propriété de Energiegenossenschaft Leipzig qui paye un loyer à la société propriétaire du bâtiment pour l’utilisation de la toiture. Au bout d’un délai de vingt ans, l’installation solaire sera soit démantelée soit rachetée par le propriétaire des lieux.
Depuis cette première opération, le même schéma a été décliné deux fois. En mars 2018 pour le raccordement de 80 kW sur le toit d’un bâtiment accueillant des réfugiés. Et deux ans et demi plus tard, en septembre 2020, pour la mise en service de 23 kW sur un immeuble résidentiel. À chaque fois, la majeure partie de l’énergie est vendue à un ou plusieurs occupants du bâtiment à un prix fixe basé sur la signature d’un contrat long terme, le réseau absorbant tout ce qui n’est pas consommé en local. Ainsi, le modèle est rodé et nous pourrions penser que désormais, la coopérative peut le dupliquer à l’envi. Malheureusement ce n’est pas le cas. « Notre problème principal aujourd’hui est financier. La partie de l’électricité qui va être vendue sur le réseau sera valorisée autour de 5 centimes le kWh contre 12 pour la première opération en 2015. Pour développer un nouveau projet, il faudrait que nous trouvions un ou plusieurs acheteurs qui soient prêts à consommer la plus grande partie possible de notre production tout en ayant des besoins qui soient en correspondance avec le type d’installations que nous souhaitons développer (moins de 100 kW). Ce n’est pas simple ». Une nouvelle fois le parallèle avec ce que vivent des porteurs de projets citoyens en France est frappant. Des deux côtés du Rhin, les batailles sont bien similaires.
Quel horizon ?
De ce fait, la coopérative énergétique de Leipzig suspend pour l’instant l’intégration de nouveaux sociétaires en raison d’un manque de projet futur. « Pour devenir adhérent chez nous, il n’y a aucun critère particulier. Vous pouvez habiter Leipzig, sa banlieue où venir d’un autre Land, c’est ouvert à tous. En revanche, il y a un ticket d’entrée de 1 000 euros qui est l’investissement minimum pour devenir sociétaire de plein droit. Aujourd’hui, nous avons environ 200 membres et le bouche-à- oreille nous amène du monde mais nous refusons d’intégrer de nouvelles per- sonnes car nous ne savons pas comment utiliser le capital qu’elles vont nous apporter. » Le collectif est donc en pleine réflexion et plusieurs pistes ont été envisagées. Se tourner vers un projet éolien aurait une logique mais les capitaux nécessaires seraient alors d’une tout autre ampleur et la concurrence entre opérateurs pour le foncier est féroce. La production de chaleur renouvelable ou de biométhane serait aussi une possibilité, mais pour l’instant aucune réelle opportunité ne s’est présentée. Des discussions avancées avaient été engagées avec une entre- prise autour d’un projet de chaleur renouvelable solaire pour son processus industriel. Hélas, c’est finalement une solution gaz qui a été retenue. Dans ces conditions, nous pouvons légitimement nous interroger sur le devenir d’un collectif, certes expérimenté, mais qui semble entravé dans sa marche en avant. Sur cette question, malgré les difficultés, Stefan Röder se veut rassurant : « La coopérative a été créée il y a près de dix ans et c’est vrai que certaines personnes qui étaient à la fondation ne sont plus là aujourd’hui. Toutefois, si certains se lassent, ils ont passé le relais à d’autres qui sont venus nous rejoindre et ont apporté du sang neuf. La motivation est encore bien présente et nous continuons de chercher des projets. Les idées ne manquent pas et nous finirons bien par en trouver une qui nous ouvrira un nouvel horizon. » Une nouvelle fois, on retrouve l’envie et la passion qui animent le cœur de tous les collectifs citoyens qui se sont lancés dans l’aventure de l’énergie participative… et ce quel que soit le pays.