CéléWatt, une énergie propre et citoyenne dans le Lot

Article

Du photovoltaïque au sol entièrement citoyen et sans tarif d’achat, c’est possible ! La coopérative occitane CéléWatt l’a démontré en y mettant toute son énergie. Portée par plus de 500 sociétaires, la coopérative espère pouvoir développer d’autres projets dans le futur malgré des conditions économiques plus contraintes.

Parc photovoltaïque de Carayac

« Nous avons préféré le face-à-face plutôt que Facebook ». C’est ainsi que Bertrand Delpeuch décrit l’approche de la coopérative CéléWatt dont il est le président. L’histoire débute fin 2015 au moment où quelques personnes rêvent de réaliser un projet solaire à gouvernance citoyenne près de chez elles. Trois conditions sont toutefois posées avant de véritablement passer à la vitesse supérieure : trouver un nombre significatif de personnes prêtes à devenir des futurs sociétaires, avoir un terrain adapté et identifier une offre d’achat pour leur production à un prix suffisant pour garantir l’équilibre financier de l’opération. En 2016 est alors créée l’association CéléWatt qui, par le bouche-à-oreille, puis lors de réunions publiques organisées dans les différents villages du département, va promouvoir l’idée d’un parc photovoltaïque de petite puissance, installé au sol et entièrement portée par des citoyens. « Nous avons fait le choix de privilégier les contacts directs pour expliquer notre démarche. Nous avons juste un peu travaillé avec la presse et les radios locales pour nous donner plus d’écho ».

Dès sa création, l’association cherche à créer une véritable dynamique sociale pour prouver que dans le monde rural, souvent isolé, les gens peuvent s’organiser et s’accorder pour monter des projets innovants. La première condition posée est rapidement remplie avec les cent premiers engagements, de la part d’habitants du territoire, à entrer au capital du projet. Pour l’emplacement du futur parc, la mairie de Brengues (Lot) propose une parcelle abandonnée pour une location symbolique de 50 euros l’année. Seule contrainte posée, défricher le terrain.

CéléWatt tourne ce point à son avantage en s’associant avec le parc naturel régional des Causses du Quercy afin d’établir un suivi scientifique de l’évolution de la végétation de la parcelle.

« Notre objectif était qu’au bout de cinq ans, nous ayons un état naturel de meilleure qualité que celui de la parcelle adjacente laissée telle quelle. » Techniquement, le projet s’arrête sur l’installation de 250 kW au sol pour une revente totale au réseau. La question de la valorisation de l’énergie sera résolue grâce à un accord trouvé avec le fournisseur Enercoop qui offre un tarif de dix centimes par kilowattheure injecté sur une période de 25 ans. Au bout d’un an, les trois conditions initiales ayant été atteintes, l’association est dissoute pour donner naissance à une société par actions simplifiée (SAS) avec statut de société coopérative d’intérêt collectif (SCIC).

Un premier parc en à peine trois ans

Pour financer les 260 000 euros de l’opération de Brengues, CéléWatt réussi à lever 100 000 euros auprès de citoyens, notamment en utilisant un argument qui fait mouche. « Nous avons incité les parents et grands-parents à prendre des parts pour leurs enfants ou petits-enfants. Nous leur avons dit qu’il s’agissait d’un placement sur lequel ils ne pourront pas toucher de dividendes avant leurs 18 ans. De plus, en faisant cela, les parents profitaient d’une réduction d’impôts de 18 % à l’ époque (portée depuis à 25 %) réservée aux tuteurs de mineurs. » Le projet a également bénéficié de l’effet de levier important d’un dispositif régional destiné à financer des projets d’énergies renouvelables coopératifs et citoyens. Porté par la région Occitanie, en partenariat avec l’Ademe, le fonds offre un euro de subvention pour un euro investi dans des opérations citoyennes. C’est donc 100 000 euros supplémentaires qui entrent dans l’escarcelle du projet. « Avoir été retenu par ce fonds nous a aidés bien entendu financièrement, mais cela nous a aussi aidés à gagner en crédibilité. La levée de fonds auprès des particuliers en a été facilitée », explique Bertrand Delpeuch. Du point de vue comptable, la subvention régionale abonde les quasis fonds propre de l’opération et ne correspond donc pas à une entrée au capital social par la Région. « Elle ne participe donc pas à la gouvernance, ce que nous regrettons, cela nous aurait apparu comme plus intéressant. Cependant, pour ne pas privatiser cet argent public sous forme de dividendes, nous remettons en réserve chaque année l’équivalent d’1/25 de cette subvention afin qu’elle soit réinvestie dans le développement de nos futures grappes de projets solaires portées par CéléWatt. » En juin 2018, moins de trois ans après la naissance de l’idée, le parc de Brengues entre en service. Ses 1 400 m2 de panneaux monocristallins de marque Talesun produisent chaque année une moyenne de 320 MWh. Dans la foulée de cette opération réussie, la coopérative va réaliser un second parc solaire, similaire en termes de puissance au premier, mais situé cette fois sur la commune de Carayac. Mise en service en avril 2021, cette nouvelle centrale au sol a été l’occasion d’innover, avec la volonté de valoriser au maximum les ressources locales. L’idée a été d’utiliser du bois de chêne du Causse, très rigide et issu de forêts de la région, afin de servir de support aux panneaux au lieu des structures classiques en acier. L’idée a séduit l’entreprise Mécojit, acteur local ayant déjà construit le parc de Brengue, et qui a développé une solution pour le parc de Carayac. « L’entreprise Mécojit a même développé un procédé en bois pour l’ajouter à leur catalogue, le procédé Mécowood », explique Bertrand Delpeuch. Un procédé local, renouvelable, sans fondation et totalement réversible en fin de vie de la centrale, d’après l’entreprise.

Inauguration du parc photovoltaïque
Inauguration du parc photovoltaïque de Brengues

Des doutes pour l’avenir

Aujourd’hui, CéléWatt compte 520 sociétaires qui ont apporté 95 % d’un capital social qui s’élève à 357 000 euros. Une base solide qui devrait, sans trop de peine, convaincre une banque d’être partenaire pour un troisième projet. Cependant, la coopérative s’interroge sur la voie à suivre pour l’avenir. « Des petits parcs photovoltaïques de 250 kW ou 300 kW, il serait possible d’en faire plein en France. C’est très bien accepté, il y a très peu d’inconvénients et il n’y a pas de grands travaux à faire pour renforcer les réseaux électriques car la production est consommée localement. Rien qu’en Occitanie ou en Nouvelle-Aquitaine, il y a une dizaine de communes qui seraient prêtes à démarrer. » Mais le principal frein est économique.

Gros plan sur un pieu en chêne de Causse servant de structure pour les panneaux du parc de Carayac
Gros plan sur un pieu en chêne de Causse servant de structure pour les panneaux du parc de Carayac

En effet, pour le parc de Carayac, le contrat avec Enercoop a été conclu à 7 centimes par kWh, soit 3 centimes de moins que pour Brengues. Le marché était alors à ce niveau, mais l’équilibre du projet est beaucoup plus fragile. « Nous nous développons sans soutien public, uniquement grâce aux abonnés d’Enercoop qui acceptent de payer un peu plus cher pour un prix plus juste du point de vue environnemental et social. On tire une certaine fierté de ne pas dépendre de l ’argent public. Mais développer d’autres projets dans ces conditions est devenu très difficile. Pour des puissances si petites au sol, il n’existe aujourd’ hui aucun mécanisme de complément de rémunération », explique toujours Bertrand Delpeuch avant de poursuivre : « Même dans le cas d’un tarif d’achat qui serait mis en place [pour les centrales solaires de moins de 500 kW au sol, ndlr], ce serait un peu à double tranchant. Un dispositif attractif pourrait amener des entreprises purement commerciales sur ce segment et il pourrait y avoir une inflation du prix du loyer des parcelles ». En attendant, la coopérative continue d’être sollicitée pour des retours d’expériences et songe à créer son premier emploi salarié. « L’engagement bénévole, qui a porté CéléWatt depuis sa création, est consommateur d’énergie à long terme. La prochaine étape pourrait être une embauche à temps partiel pour épauler les bénévoles et poursuivre nos projets. »

Innovation citoyenne
Le parc de Carayac fait des émules dans la presse locale. Les pieux en bois utilisés par l’entreprise Mécojt intriguent. Sont-ils assez robustes pour soutenir les panneaux ? Comment vont-ils vieillir ? S’agit-il d’une curiosité ou d’une véritable alternative aux structures en métal ? Beaucoup de questions qui ont fini par piquer la curiosité des ingénieurs de l’Institut national de l’énergie solaire (Ines) qui sont entrés en contact avec CéléWatt et Mécojit. En France, l’Ines suit de près les prototypes, les démonstrateurs et les innovations qui ont passé la phase de commercialisation ; c’est pourquoi ils ont lancé une étude sur le cycle de vie des pieux utilisés afin de mieux en suivre l’impact. Pour CéléWatt, le pari de l’innovation est réussi, en apportant la preuve que même un petit collectif porté par des bénévoles est capable de proposer de la nouveauté dans une filière technologique comme le photovoltaïque.