Le secteur de l’énergie citoyenne fait face à de nombreux obstacles qui, souvent, contraignent les initiatives sur le terrain. Passage en revue des principaux écueils et des propositions faites pour les contourner.
En France, un soutien public s’est peu à peu développé sur la thématique des projets citoyens. Désormais, toutes les régions métropolitaines sont couvertes par un réseau d’animation dont le rôle est d’accompagner l’émergence et l’amorçage des projets. En plus de cela, des conseils régionaux ont mis en œuvre des appels à projets spécifiques centrés sur la phase de développement et débordant sur la phase d’investissement des projets. Au niveau national, l’État a introduit en 2016 un bonus participatif dans les appels d’offres de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Malgré cela, des obstacles demeurent et l’écosystème français de l’énergie citoyenne n’est pas en manque de propositions pour les contourner. Sur cette question, le Collectif pour l’énergie citoyenne a réalisé plusieurs documents[1] dont voici les mesures les plus exemplaires.
Mieux communiquer
Quel que soit le champ d’action, la communication est un aspect central et décisif pour amplifier un mouvement. Aussi sur la thématique de l’énergie citoyenne, les acteurs porteurs de la dynamique en France pointent d’emblée un manque d’information et de sensibilisation des citoyens à grande échelle. Selon un sondage Enercoop-Opinion Way de mai 2021[2], 68 % des Français se déclarent intéressés par les projets de production citoyens et 63 % d’entre eux seraient même prêts à participer ou à financer un projet d’énergie renouvelable près de chez eux. Toutefois, malgré cette appétence, les modalités pour s’engager sont encore trop mal connues. Pour pallier cela, des campagnes de communication sur les énergies renouvelables et l’investissement citoyen seraient efficaces, avec un accent mis tout particulièrement sur des retours d’expérience positifs de la part de sociétaires de projets en service, de consommateurs d’énergie renouvelable ou de collectivités.
Une stratégie nationale
Le Collectif pour l’énergie citoyenne demande également des mesures adoptant une vision nationale du développement de l’énergie citoyenne. Le manque de stratégie globale se décèle notamment dans l’absence d’objectifs spécifiques. Ainsi le collectif propose un seuil de 15 % de sites aux mains des citoyens ou des collectivités dans l’ensemble des sites renouvelables installées en France à fin 2030 (un objectif sur le nombre de sites et non pas sur les puissances). Cette cible peut paraître très ambitieuse, mais d’autres pays ont déjà̀ pris des engagements similaires. Ainsi l’Écosse cherche à atteindre 2 GW de puissance par des communautés énergétiques renouvelables citoyennes d’ici 2030 et les Pays-Bas ont inclus dans leur loi Stratégie climat pour 2030 un objectif de 50 % d’électricité renouvelable terrestre produite par des sociétés détenues par des acteurs locaux. En France, une photographie basée sur les données d’Énergie partagée situe à fin 2021 aux environs de 1 % la part des installations à gouvernance citoyenne dans l’ensemble des sites électriques renouvelables du pays (en nombre).
Sur le thème de la trajectoire à suivre, l’annonce faite par Barbara Pompili le 8 novembre 2021 de viser 1 000 nouveaux projets d’énergie renouvelable à gouvernance locale d’ici à 2028 va dans le bon sens. Pour la première fois, la France se dote d’un objectif tangible. Cependant les acteurs restent vigilants car si ce jalon donne un cap, il reste à lui donner corps en le traduisant dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour sa réalisation. De plus, l’écosystème citoyen voudrait qu’au-delà du niveau national, les schémas régionaux (Sraddet[3]) ou territoriaux (PCAET[4]) déclinent eux-mêmes des objectifs et moyens d’action sur l’implication des citoyens et des collectivités dans les projets d’énergie renouvelable.
Des collectivités moins contraintes
Un troisième axe d’amélioration concerne les conditions d’investissement des collectivités pour lesquelles un frein majeur existe : les contraintes posées sur les avances qu’elles peuvent apporter en compte courant associé d’un projet citoyen. Ces avances correspondent à des sommes qui peuvent être créditées sur le compte de la société d’un projet, notamment pour l’aider dans les premières phases de développement. Les collectivités ont une contrainte sur le montant de ces avances, avec un plafond maximum fixé à 5 % de leurs propres recettes réelles de fonctionnement. De plus, une autre contrainte existe, temporelle cette fois, avec une durée d’avance qui peut aller jusqu’à sept ans mais uniquement pour les projets qui bénéficient d’un soutien public d’achat[5] (tarif d’achat ou complément de rémunération).
Sur la première limite, le seuil de 5 % est jugé comme beaucoup trop bas, notamment au regard des caractéristiques des projets renouvelables qui nécessitent un apport initial élevé en capital, puis de faibles montants en phase d’exploitation. Un relèvement de ce seuil est demandé. Concernant la limite temporelle, les acteurs de l’énergie citoyenne font naturellement valoir que tous les projets qui seraient en autoconsommation ou qui valoriseraient leur énergie en circuit court, via des contrats de gré à gré avec un acheteur, seraient alors lourdement et injustement pénalisés. Il est donc logiquement demandé que tous les projets citoyens puissent bénéficier de la même durée de sept ans.
Autre obstacle récurrent, celui de la limite du périmètre de proximité. La loi Énergie-Climat de 2019 a modifié la notion de proximité qui encadre les possibilités d’investissement des collectivités dans les projets d’énergie renouvelable en les restreignant à leur territoire et à celui des communes limitrophes. La même règle étant appliquée pour les intercommunalités. Une fois de plus, les règles posées sont inutilement contraignantes et beaucoup trop limitantes. Sur cette question du périmètre, le Collectif de l’énergie citoyenne propose d’étendre le rayon d’action à tout le département, voire à un autre département pour les communes ou intercommunalités limitrophes.
S’adapter aux territoires
Le dernier domaine d’action est celui de l’adaptation des dispositifs de soutien aux caractéristiques des territoires. Actuellement, les mécanismes de soutien aux projets renouvelables électriques (tarifs d’obligation d’achat et appels d’offres) ne tiennent pas compte des disparités de potentiel entre les territoires, ce qui génère des déséquilibres forts entre les régions. À titre d’exemple, à population équivalente, l’écart de puissance photovoltaïque installée fin 2021 entre les Hauts-de-France et l’Occitanie était d’un facteur huit alors que le différentiel d’ensoleillement est, lui, d’un facteur de 1,8 environ. Pour les grands opérateurs énergétiques, l’écart de rentabilité des projets entre les différentes parties du pays est couvert par le foisonnement entre l’ensemble des opérations. En revanche, les projets à gouvernance locale portés par les citoyens et les collectivités aux moyens plus limités sont beaucoup plus impactés. Les collectivités ou les collectifs citoyens situés dans la partie nord du pays ne peuvent compenser l’équilibre fragile d’un projet par le développement de plusieurs autres dans la partie sud. Ces opérations ont très souvent besoin d’une aide financière locale, en plus du système de soutien national, pour être viables. Or, sur la filière photovoltaïque, qui concerne une grande part des projets citoyens français, le cumul des aides régionales avec un dispositif national n’est plus possible depuis l’arrêté tarifaire de mars 2021 pour les installations de 500 kW ou moins. Ainsi, les opérations à gouvernance locale, qui devraient être considérées comme des atouts pour une transition énergétique partagée et citoyenne, se trouvent handicapées. Pour contourner cet obstacle, le collectif demande un principe de différenciation géographique des mécanismes de soutien qui permettrait à davantage de projets de se développer dans le Nord, débouchant ainsi sur davantage de foncier utilisable, et pourrait limiter les besoins de renforcement du réseau dans les régions saturées et diminuer le taux d’échec des projets au global.
Les idées ne manquent donc pas pour accompagner la dynamique des projets à gouvernance locale vers une part plus élevée dans le paysage énergétique français. Tous ces points, ainsi que plusieurs autres, vont continuer de faire l’objet de discussions entre les acteurs de l’écosystème et les services de l’État au sein d’un groupe de travail spécifique à la thématique de l’énergie citoyenne créé en février 2021. Le ministère a d’ailleurs insisté sur le fait que ce groupe se focalisera à l’avenir sur les évolutions réglementaires nécessaires au soutien de projets citoyens de chaleur, de biométhane et d’autres gaz renouvelables. Les projets d’électricité renouvelable, même s’ils sont actuellement bien plus nombreux que sur les autres vecteurs énergétiques, ne sont effectivement pas les seuls concernés par l’approche citoyenne.
[1] « Nos 5 propositions pour le projet de loi Climat & Résilience » en mai 2021 et « Projets d’énergie renouvelable à gouvernance locale & communautés énergétiques : identification des obstacles et propositions de mesures de soutien » en juin 2021.
[2] www.enercoop.fr/blog/actualites/nationale/ sondage-enercoop-opinionway-les-francais-et-les-energies-renouvelables
[3] Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires.
[4] Plan climat-air-énergie territorial.
[5] Pour les projets hors soutien public, la durée maximale des avances est de deux ans.