Glyphosate : fabrique industrielle du doute

Atlas des pesticides

Bayer et d’autres sociétés se battent pour faire renouveler l’approbation du glyphosate par l’UE. Pour ce faire, elles doivent prouver que la substance active de leur pesticide n’est pas cancérogène. Mais leurs études sont vieilles… et démontrent le contraire.

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En décembre 2019, le groupe pharmaceutique et biotechnologique allemand Bayer a déposé une demande de renouvellement de l’approbation du glyphosate pour 2022 auprès de l’Union européenne (UE), conjointement avec d’autres entreprises réunies sous le nom de Groupe pour le renouvellement du glyphosate (GRG). Le glyphosate est le désherbant chimique le plus utilisé au monde. Cette nouvelle procédure d’approbation s’accompagne toutefois d’une controverse – toujours en cours – entre les autorités européennes et le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) chargée d’étudier la toxicité de l’herbicide. Le glyphosate avait initialement été autorisé en Europe en 2001 pour 15 ans, soit jusqu’en 2016.

En 2015, le CIRC avait classé cette substance comme « probablement cancérogène pour l’Homme ». L’Institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques (BfR) et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), tous deux impliqués dans la procédure de renouvellement d’autorisation par l’UE, étaient arrivés à une conclusion différente. En 2017, devant l’âpreté des débats, l’UE n’a renouvelé la licence du désherbant que pour cinq ans, soit dix ans de moins que la durée habituellement accordée à un produit phytosanitaire.

La demande de Bayer est étayée par des centaines d’études fournies par des fabricants ou provenant de la littérature scientifique, mais elle ne s’accompagne pas de nouvelles données réfutant le caractère « probablement cancérogène » du produit selon le CIRC. Le Groupe pour le renouvellement du glyphosate s’appuie en effet sur 12 études commanditées par les fabricants et menées sur des souris et des rats, études que le géant de l’agrochimie Monsanto, racheté par Bayer en 2015, avait déjà soumises lors de la procédure d’approbation précédente.

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Ces dix dernières années, l’Agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA) a considérablement augmenté les niveaux de tolérance pour le glyphosate. Les organisations de la société civile font remarquer que l’EPA manque d’informations clés, notamment en matière d’évaluation des risques écologiques.

Le CIRC avait évalué les éléments de preuves et examiné 4 de ces 12 études sur lesquelles le BfR s’était appuyé pour conclure à l’innocuité de l’herbicide. Tirant leurs conclusions des mêmes études qui avaient servi aux fabricants à démontrer le caractère non nocif du glyphosate, les chercheurs en oncologie de l’OMS déclaraient disposer « de preuves suffisantes de sa cancérogénicité dans les expérimentations animales ». Il s’avèrera par la suite que le BfR n’avait pas tenu compte d’augmentations statistiquement significatives des tumeurs dans toutes les études commanditées par les fabricants – selon la réglementation en vigueur, deux études indépendantes concluant à un lien avec le cancer suffisent à classer une substance cancérogène. Le BfR justifiera ce manquement dans un addendum à son rapport en déclarant avoir fait confiance aux évaluations statistiques des études des fabricants. Cela signifie que l’institut n’a pas évalué les résultats des études en eux-mêmes, alors que son mandat juridique repose sur son indépendance scientifique.

Même après avoir été alertées, les autorités allemandes ont maintenu leurs conclusions initiales. Toutefois, leurs arguments concernant la non-cancérogénicité du glyphosate ont changé. D’après elles, ce n’est pas la substance active du pesticide qui est responsable des nombreux développements de tumeurs, mais les failles dans la conduite des études : dosages élevés, animaux de laboratoire malades ou simples coïncidences. On peut toutefois se demander comment les autorités ont pu réaliser une évaluation objective des risques de cancer à partir d’études faussées. Et aussi pourquoi les fabricants n’en ont pas soumis de nouvelles, plus fiables, à l’occasion de l’actuelle procédure de renouvellement.

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Ctrl C - Ctrl V : l’Institut fédéral allemand pour l’évaluation des risques a recopié des pages entières des dossiers présentés par les industriels. Une analyse de plagiat a montré que l’institut avait même recopié les évaluations d’études indépendantes réalisées par Monsanto.

Les études des fabricants ne sont toutefois pas les seules à s’être retrouvées sous le feu des critiques. En effet, le BfR et le CIRC se sont à nouveau divisés, quant à la génotoxicité du glyphosate cette fois. S’appuyant sur 53 études commanditées par les fabricants, le premier a nié en 2015 que l’herbicide puisse altérer l’ADN ou les chromosomes. Mais ce même institut avait classé « non fiables » et avait exclu de l’évaluation plusieurs études indépendantes similaires parues dans la littérature scientifique qui, dans leur majorité, allaient dans le sens du CIRC et concluaient à de « solides preuves de génotoxicité ».

En septembre 2017, une analyse de plagiat a révélé que la déclaration dans laquelle le BfR justifiait la mise à l’écart de ces études avait été copiée-collée depuis le dossier de demande d’approbation monté par Monsanto. Les spécialistes déplorent également qu’une agence sanitaire comme le BfR n’ait examiné que certains aspects tels que l’exposition alimentaire et les risques pour la population, laissant de côté ceux liés à l’exposition professionnelle.

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Selon Transparency International, le rapport entre les membres du Parlement européen et les lobbyistes est d’un pour cinquante. Beaucoup sont envoyés par des entreprises agrochimiques.

Un arrêt rendu en 2019 par la Cour de justice de l’Union européenne impose aux instances de réglementation de l’UE de divulguer toutes les études commanditées par les fabricants qui étaient jusque-là restées volontairement confidentielles. Deux chercheurs de renom de l’Institut de recherche sur le cancer de l’université de médecine de Vienne ont alors examiné les 53 études mentionnées plus haut et évalué leur qualité scientifique : 34 s’écartaient sensiblement des lignes directrices de l’OCDE en la matière et ont été classées « non fiables » par les deux chercheurs, 17 « partiellement fiables » et 2 seulement, « fiables ». Cela n’a pas empêché les requérants de soumettre à nouveau lesdites études lors de la procédure d’approbation qui est en cours, toujours comme gage de la non-génotoxicité du glyphosate.

En dépit de tout cela, le groupe d’évaluation du glyphosate (AGG) a proposé, dans son premier projet de rapport d’évaluation qui date de juin 2021, de continuer à classer la substance non cancérogène et non toxique dans l’UE. Ce groupe – composé de quatre États membres : France, Hongrie, Pays-Bas et Suède – a été nommé par la Commission européenne pour veiller à ce que le dossier de candidature réponde aux exigences de forme du droit européen. Le 2 décembre 2022, la Commission européenne a prolongé la période d'approbation de la substance active « glyphosate », qui court désormais jusqu'au 15 décembre 2023.

Sources :

p.50: As You Sow, Roundup revealed Glyphosate in our Food System, 2017, https://bit.ly/3u6UCjt. Global Industry Analysts, Inc, https://bwnews.pr/3oCP1iI – p.51 in alto: Stefan Weber, Helmut Burtscher-Schaden, Detailed Expert Report on Plagiarism and superordinated Copy Paste in the Renewal Assessment Report (RAR) on Glyphosate, 2019, https://bit.ly/331J8TR. Armen Nersesyan, Siegfried Knasmueller, Evaluation of the scientific quality of studies concerning genotoxic properties of glyphosate, 2021, https://bit.ly/3IlqK8A. – p.51 in basso: Corporate Europe Conservatory, https://bit.ly/3onRTzA. LobbyFacts, https://bit.ly/33drZGG.