Vers des cantines scolaires durables ? Entretien avec Robert Grundlach

Entretien

Depuis 2023, Fribourg-en-Brisgau révolutionne ses cantines scolaires avec un menu 100% végétarien, alliant santé des enfants et respect de l'environnement !

Temps de lecture: 8 minutes
Robert Grundlach, Responsable du Plan Cimat de la ville de Fribourg-en-Brisgau et coordinateu pour le réseau des villes biologiques allemands

Entretien realisé par Vina Hiridjee, journaliste indépendante, avec Robert Grundlach, Responsable du Plan Climat de  la ville de Fribourg-en-Brisgau et coordinateur pour le  réseau des villes biologiques allemands.


La ville de Fribourg-en-Brisgau a décidé de supprimer le poisson et la viande des cantines scolaires, pour ne proposer que des plats végétariens à partir de la rentrée 2023 aux enfants de 1 an à 10 ans. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qui a motivé ce choix et dans quel contexte est née cette initiative ?

Robert Grundlach : Tout d'abord, notre motivation n'est pas de "supprimer" quelque chose. En tant que ville, nous ne voulons pas et ne pouvons pas dicter aux citoyen·ne·s ce qu'ils doivent manger. C'est un sujet très individuel, voire intime. En même temps, il faut répondre à de nombreuses exigences en matière de repas pour les crèches et les écoles - comme la qualité, le goût, la diversité des aliments, la santé, les coûts et aussi notre responsabilité en tant que commune dans la protection du climat. Le défi de la restauration collective est de concilier au mieux ces contraintes et les besoins de toutes et tous.

C'est pourquoi, nous avons adopté un nouveau concept de restauration en 2022. Il s'agit essentiellement d’atteindre deux objectifs : augmenter la qualité et stabiliser les coûts. Par exemple, en proposant des repas du midi adaptés aux enfants selon des normes de qualité et des recommandations scientifiques comme celles de la Société allemande de nutrition (DGE) qui préconisent de réduire fortement la part de produits d'origine animale, mais aussi d’augmenter la part de produits bio de 20% à 30% dans les assiettes. 

Depuis septembre 2023, nous avons mis en place un menu constitué de trois plats entièrement végétariens dans les crèches et les écoles primaires. 

Les écoles secondaires ont toujours le choix entre deux menus à 3 plats, avec une option viande/poisson une fois par semaine. Il faut préciser que certaines crèches et quelques écoles primaires proposaient déjà, bien avant 2022, une offre entièrement végétarienne facultative qui fonctionnait bien.

Certains parents s’inquiètent de carences et de sous-alimentation pour les enfants…

Les exigences en matière d'alimentation des enfants sont très élevées et les avis sur l'alimentation "idéale" des enfants varient d'une personne à l'autre. Nous n'agissons pas en tant que ménage privé, mais en tant que commune responsable de l’organisation de la restauration collective publique. Nous prenons des décisions uniquement sur la base de normes reconnues comme celles de la Société allemande de nutrition (DGE) qui évalue positivement une alimentation purement végétarienne pour les enfants. Et nous constatons que, depuis la mise en place du régime végétarien, le changement est bien accueilli par les enfants. De la part des parents, nous avons observé que la critique ne portait pas sur le végétarisme en soi, mais plutôt sur l’offre d’un seul menu au lieu de deux.

Il convient aussi de rappeler qu’il ne s'agit pas du seul repas de la journée, mais d'un repas par jour, de sorte qu'il est possible de continuer à manger de la viande ou du poisson dans la sphère privée. Comme la participation aux repas scolaires est facultative, les parents sont également libres de donner à leurs enfants des repas préparés à la maison. 

Nous avons la certitude scientifique qu'un repas végétarien proposé 5 jours par semaine sur 180 jours par an, n'entraîne aucune carence nutritionnelle pour les enfants. En outre, il n'existe pas de "droit à la viande". 

En revanche, ce que les citoyen·ne·s sont en droit d'attendre de nous, c'est que nous proposions des repas de midi sains et adaptés aux enfants, selon des normes de qualité reconnues, pour le bien des enfants.

La ville de Fribourg prépare environ 4500 repas par jour pour ses cantines scolaires. Comment sont approvisionnées les cantines scolaires de Fribourg-en-Brisgau ? 

Nous sommes directement responsables de 4.339 repas par jour pour les crèches et les écoles. S'y ajoutent environ 600 repas de trois cantines de l’administration. 

En Allemagne, les services de restauration des crèches et des écoles sont très différents les unes des autres. Certaines communes cuisinent elles-mêmes dans des cuisines centrales ou décentralisées, d'autres font appel à des prestataires de services de restauration privée. Les villes de Brême et de Göttingen, par exemple, cuisinent principalement elles-mêmes pour leurs crèches et leurs écoles en centralisant les achats de denrées alimentaires et en employant leur propre personnel de cuisine dans plusieurs cuisines locales. 

A Fribourg, nous confions la restauration des crèches et des écoles à trois prestataires de services de restauration externes via des procédures d'appel d'offres publiques à l'échelle européenne. Pour cela, nous avons des exigences précises de qualité. En outre, notre "modèle fribourgeois" présente une particularité : nous demandons à nos traiteurs de participer à notre programme d’éducation alimentaire, soit 20 heures par école chaque année. Cela se fait sous forme d'excursions dans des exploitations agricoles et de visites des cuisines. En raison du temps de trajet, seuls les fournisseurs régionaux peuvent s'en charger. Actuellement, trois entreprises de restauration collective servent 20 crèches et 53 écoles via notre système de commande.

Est-ce qu’aujourd’hui la production locale en circuit court pourrait répondre à la demande des cantines scolaires à Fribourg-en-Brisgau ? 

Selon une étude commandée en 2016, nous savons que Fribourg peut s'approvisionner à hauteur de 20% dans la région :  à 80% pour le bœuf, à 70% pour le lait, et à 10% pour les fruits et légumes.

En tant que ville, nous ne pouvons pas mettre sur pied une économie planifiée, mais nous misons sur la mise en réseau pour rendre l'offre et la demande plus visibles dans la région, par exemple grâce au projet pilote de la plateforme commerciale « Nearbuy ».

Comment les cantines scolaires peuvent-elles jouer un rôle pour structurer une politique alimentaire locale ?

De manière générale, c'est le secteur de la restauration, et plus particulièrement la restauration collective publique, qui constitue le plus grand levier. En tant que pouvoirs publics, nous souhaitons organiser des structures durables dans la région et donner des impulsions. Nous essayons d’utiliser au mieux notre puissance d'achat, malgré certaines contraintes, comme le droit des marchés publics de l'UE qui nous interdit d’inclure la régionalité comme critère d'attribution dans nos appels d'offres ; nous ne sommes qu’une "petite" municipalité avec 5.000 repas par jour distribués dans les établissements scolaires de la ville.

Il faut quand même souligner qu’un changement structurel ne fonctionne que s'il est porté par la société et ne peut pas être "imposé" par une administration municipale. 

L'alimentation étant un thème transversal, elle joue également un rôle décisif pour les objectifs de durabilité ainsi que pour la protection du climat et des espèces. Ainsi, les relations commerciales régionales peuvent aider à convertir les exploitations conventionnelles à l'agriculture biologique en raison d'une relation de confiance établie.

Cependant, des conflits d'objectifs peuvent également survenir. Par exemple, les aliments régionaux ne sont pas forcément les plus respectueux du climat, car les émissions dues au transport ne représentent en moyenne que 5% de l’empreinte climatique d'un aliment.

Grâce à la restauration scolaire, nous pouvons donner des impulsions, mais nous devons aussi "jouer" avec les autres parties du système alimentaire. Notre stratégie s'articule autour de quatre axes majeurs : devenir un modèle inspirant pour d’autres collectivités, créer des conditions cadres favorables à la mise en place d’outils innovants, comme la plateforme d’achat Nearbuy, renforcer les acteurs du système alimentaire, tel que le soutien au conseil citoyen de l'alimentation, mais aussi sensibiliser à un autre rapport à l'alimentation avec des initiatives locales telles que  le projet Food for Future Fribourg ou encore le « festival d’AgriKultur ».

Est-ce qu’il y a d’autres municipalités qui s’intéressent à votre initiative ? Qu’est-ce qui ferait qu’elles vous suivraient ?

Oui, nous avons également été invités à plusieurs manifestations pour présenter le "modèle fribourgeois" (par ex. l'exposition horticole fédérale, les réunions du réseau de restauration scolaire...). De plus, nous coopérons et travaillons en réseau à différents niveaux comme avec le Centre national de qualité (NQZ) pour la restauration scolaire, nous échangeons avec d'autres communes concernant l'organisation de la restauration communale ; nous avons aussi des liens étroits avec le centre régional pour l'alimentation du Bade-Wurtemberg, nous soutenons le forum citoyen du conseil de l'alimentation, et nous dialoguons aussi avec d'autres « villes bio » (Bio-Städte) sur nos pratiques.

C’est quoi selon vous bien se nourrir aujourd’hui ? 

Du point de vue d'un responsable de la protection du climat, je pense qu'il est important de noter que notre alimentation représente un quart, voire un tiers de notre empreinte carbone personnelle. C'est pourquoi le "Planetary Health Diet" est pour moi un objectif à atteindre. Il est scientifiquement prouvé que ce régime alimentaire est bon à la fois pour notre propre santé et celle de la planète, puisqu’il respecte les capacités des écosystèmes. Il préconise principalement la consommation des légumes, des fruits, des céréales complètes, suivis par des légumineuses, des pommes de terre, des noix et beaucoup moins de produits laitiers, de viande, de poisson et d’œufs.