L’agriculture verticale en intérieur permet de cultiver tout au long de l’année. Elle nécessite moins d’espace et promet de réduire l’utilisation d’eau, d’engrais et de pesticides, protégeant ainsi le climat et les sols. Mais cette évolution doit s’inscrire dans le cadre d’une transformation plus large des systèmes alimentaires.
Avec l’urbanisation rapide, l’idée de culture hors-sol gagne du terrain. L’agriculture verticale en intérieur, une approche importante de l’agriculture en environnement contrôlé (AEC) permet de cultiver efficacement des laitues, des légumes verts à feuilles et des herbes aromatiques dans des bâtiments fermés. Les entrepôts ou les bâtiments spécialement conçus sont équipés de structures à multiples niveaux qui ressemblent à des étagères ou à des rayonnages. Ces structures verticales, qui s’étendent parfois du sol au plafond, sont
recouvertes de rangées de plantes qui poussent dans des environnements soigneusement contrôlés. Au lieu d’être en terre, les plantes sont enracinées dans des solutions aqueuses riches en nutriments, qui circulent dans le système pour fournir les minéraux essentiels et l’hydratation nécessaire à leur croissance. Les racines peuvent aussi être suspendues ou être plantées dans un substrat de culture tel que la fibre de coco ou la perlite, la solution en nutriments leur étant directement apportée. Les systèmes fermés évitent que des polluants, tels que les écoulements d’engrais ou les résidus de pesticides, ne s’échappent des fermes d’intérieur vers le sol ou les nappes phréatiques. Les plantes étant moins exposées aux agents pathogènes, l’utilisation de pesticides est également fortement réduite. Des ordinateurs contrôlent l’éclairage LED, l’eau, la température et les niveaux de nutriments, ce qui permet aux plantes de pousser rapidement avec des rendements jusqu’à dix fois supérieurs à ceux obtenus par les méthodes de production conventionnelles. Ces méthodes permettent également d’économiser l’eau. Chez Nordic Harvest, la plus grande ferme verticale d’Europe située au Danemark, la consommation d’eau des plantes est réduite de 95 % grâce à un système de recyclage. Ce faible besoin en eau constitue un avantage majeur dans le contexte de la crise climatique ; la réduction de la superficie nécessaire permet également d’alléger la charge sur les terres et les sols. Ces dernières années, l’agriculture verticale en intérieur a connu un véritable essor, les chaînes de supermarchés telles que Walmart aux États-Unis ou Lidl et Rewe en Allemagne investissant des milliards dans le secteur. Cependant, l’agriculture verticale est gourmande en énergie, ce qui la rend peu rentable en raison des prix élevés de cette ressource. En 2022, plusieurs start-ups nord-américaines et européennes ont abandonné le marché en raison des coûts élevés de l’électricité et du gaz. Dans les pays du Nord global, un système high-tech capable de créer des conditions de croissance parfaites, de l’éclairage et de la température jusqu’à l’approvisionnement en eau, coûte au moins 300 dollars américains par mètre carré. Une étude menée en Arizona a révélé que la culture de laitue hydroponique nécessitait 82 fois plus d’énergie que les méthodes de production conventionnelles, même si les climats plus tempérés réduisent ce besoin. De plus, si cette énergie provient de sources fossiles, les fermes d’intérieur émettent davantage de dioxyde de carbone. Une étude réalisée en 2022 a comparé les émissions des cultures en plein air à celles d’une ferme verticale aux Pays-Bas. Les résultats de l’étude ont montré que la culture de légumes dans une installation verticale générait jusqu’à 16 fois plus d’émissions que la culture en plein champ. L’augmentation des coûts de l’énergie et de la main-d’oeuvre a fait grimper les coûts de production, entraînant une hausse des prix des denrées alimentaires produites verticalement. Malgré cela, les fermes verticales peuvent être rentables dans les villes densément peuplées, comme Hong Kong ou New York, où le prix des terrains est très élevé. Les partisan·e·s de cette solution affirment que la réduction du transport et l’élimination des intermédiaires permettent d’économiser jusqu’à 60 % de l’ensemble des coûts. Cependant, même si des modèles rentables existent, une expertise technique et un approvisionnement continu en eau et en énergie demeurent essentiels. En observant les différents types de cultures pratiquées, on constate que l’agriculture hors-sol peut contribuer de manière importante à l’apport de micronutriments et permettre d’éviter les résidus de pesticides nocifs. Elle ne peut cependant pas remplacer la culture en plein champ de pommes de terre, de riz ou d’autres céréales - des cultures qui nécessitent beaucoup d’énergie et plus de macronutriments que la laitue. En théorie, les fermes verticales pourraient produire du blé dans des conditions optimales. Une étude a estimé qu’une ferme verticale de 10 étages construite sur une surface d’un hectare pourrait produire entre 700 et 1 940 tonnes de blé par an. Cela représente 220 à 600 fois le rendement moyen du blé dans le monde, qui est de 3,2 tonnes par hectare. Les coûts de production pourraient toutefois s’avérer astronomiques. En 2020, le prix du blé cultivé dans un espace fermé d’un mètre
carré, alimenté artificiellement en lumière, en eau, en chaleur et en nutriments, a été évalué à 200 euros le kilogramme dans le cadre d’une installation technique.
Des systèmes hydroponiques en milieu contrôlé ont également été testés dans des communautés urbaines informelles de pays du Sud global afin d’analyser leur potentiel à contribuer à la sécurité alimentaire par la production locale de légumes sélectionnés. Plusieurs projets menés à Nairobi (Kenya) ont connu une forte participation locale, donnant lieu à un important transfert de connaissances. Ces projets ont mis en évidence les fonctions spécifiques de l’AEC, telles que l’adaptation au changement climatique et l’amélioration de la production d’aliments nutritifs pour les communautés urbaines situées dans des environnements difficiles aux ressources limitées. Les critiques affirment que les approches de l’AEC telles que l’agriculture verticale en intérieur, bien qu’intéressantes, sont incapables de répondre aux défis de l’agriculture mondiale. Jusqu’à présent, l’agriculture verticale ne semble convenir qu’aux fruits riches en eau et aux légumes à feuilles, pauvres en calories, mais essentiels au maintien d’un régime alimentaire équilibré. Afin de réduire la consommation de terres pour la production agricole, il convient de restructurer l’agriculture pour créer un système alimentaire plus juste et plus durable. En Europe, plus de 63 % des terres cultivables sont actuellement utilisées pour produire du fourrage, ce qui révèle la nécessité d’un changement afin que celles-ci soient utilisées plus efficacement pour fournir une alimentation saine à la population, tout en
préservant les ressources naturelles. Néanmoins, l’épuisement des sols et la crise climatique pourraient rendre l’agriculture hors-sol incontournable à long terme.
Cet article, publié à l'origine en anglais sur boell.de, a été traduit en français par Pascal Pierron et édité par Maud Cigalla | Voxeurop