Les mesures de protection du climat, de l’eau et de la biodiversité sont, pour certaines, inscrites depuis des décennies dans le droit européen. Il n’existe en revanche toujours pas de cadre juridique exhaustif concernant la protection des sols. Les tentatives antérieures pour en créer un ont été anéanties, alors que la plupart des politiques existantes sont inefficaces.
Il a fallu attendre 2006 pour que la Commission européenne lance une initiative exhaustive de protection des sols. Cette initiative demandait aux États membres de l’Union européenne (UE) d’intégrer des mesures de protection des sols dans leur politique nationale afin d’éviter toute aggravation de la détérioration des sols. Alors qu’une majorité de député·e·s du Parlement européen était favorable à une directive-cadre sur la protection des sols, le Conseil de l’UE fut longtemps incapable de trouver un accord sur une position commune. L’Autriche, l’Allemagne et les Pays-Bas faisaient partie des pays qui bloquaient la résolution au prétexte que la loi proposée violait le principe de subsidiarité. Ce principe stipule que l’Union ne peut intervenir que si les États membres ne parviennent pas à régler un problème de manière satisfaisante ou si une solution à l’échelle de l’UE constitue une meilleure alternative. En 2014, la Commission européenne a donc renoncé à sa tentative d’adoption d’une directive-cadre sur les sols. La politique agricole commune (PAC) est le seul cadre juridique normalisé en matière de protection des sols dans l’UE. Les exploitations agricoles qui perçoivent des subventions dans le cadre de ce régime doivent se conformer à une série de règles. Elles ne sont par exemple pas autorisées à brûler les chaumes de céréales après la récolte et doivent pratiquer un seuil minimum de rotation des cultures. Elles peuvent aussi bénéficier d’un financement complémentaire si elles appliquent volontairement des mesures additionnelles. Malgré cela, la PAC a été sévèrement critiquée par le passé et les expert·e·s doutent de sa capacité à promouvoir une gestion durable des sols. En raison de diverses exemptions et de valeurs de référence dégradées, l’obligation de diversifier les cultures n’a engendré à ce jour qu’une modification de 2 % des cultures sur l’ensemble des terres arables de l’UE. En outre, les fonds disponibles pour les programmes de subventions environnementales volontaires s’avèrent souvent très limités. Par ailleurs, même si la PAC a apporté de légères améliorations en matière de protection des ressources naturelles, elle reste très critiquée par les groupes de défense de l’environnement. Une analyse récente de la PAC a montré que les mesures de protection de l’environnement étaient très insuffisantes. À titre d’exemple, la période pendant laquelle le sol doit rester couvert en hiver en vertu des réglementations environnementales de l’UE est trop courte, et l’interdiction en Allemagne de labourer dans les zones à risque d’érosion hydrique ne s’applique que sur une très courte période allant de décembre à la mi-février. Les réglementations sur la protection des sols sont plus que jamais nécessaires. Jusqu’en 2023, il existait bien deux règlements européens importants, mais ceux-ci étaient insuffisants pour protéger les sols et la biodiversité. Le premier texte présentait une norme minimale sur la rotation des cultures, qui exigeait un roulement annuel des cultures. Cette obligation ne stipulait toutefois pas clairement le type de culture soumise à rotation. Les États membres de l’UE disposaient en outre de la possibilité de prévoir des exceptions concernant le choix des cultures, y compris pour les petites exploitations. L’obligation de renouveler les cultures principales d’une année sur l’autre aurait pu contribuer plus efficacement à la protection des sols. Cette obligation fut suspendue en 2023, à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le second texte présentait une obligation de consacrer au moins 4 % des terres arables à la jachère et à la plantation de haies. Cependant, à la suite des protestations des agriculteur·ice·s début 2024, ces deux obligations ont été définitivement supprimées.
La mise en oeuvre de mesures volontaires laisse aussi beaucoup à désirer. Les expert·e·s constatent que près de la moitié des mesures de protection des sols sont très peu efficaces. Un rapport spécial de la Cour des comptes européenne est parvenu au même constat. Le Pacte vert pour l’Europe a semblé un temps donner une impulsion nouvelle à la question de la protection des sols. Lorsque la Commission européenne a présenté sa stratégie en faveur des sols pour 2030, les organisations environnementales ont espéré une version optimisée de la directive-cadre sur les sols, qui avait échoué, ainsi qu’une plus grande cohérence avec la PAC. Elles furent déçues. Le projet de loi sur la surveillance des sols de la Commission européenne, présenté à l’été 2023, ne propose ni objectifs quantitatifs ni mesures concrètes. Il ne tient presque pas compte du problème de l’étalement urbain et ne prévoit aucun objectif contraignant pour limiter l’imperméabilisation des sols. Il ne contient pas non plus de critères contraignants pour une gestion durable des sols. Au lieu de protéger les sols, le projet de loi vise simplement à standardiser l’inventaire européen de la santé des sols. Pour la nouvelle période de financement de la PAC, qui débute en 2028, des normes minimales obligatoires sont nécessaires pour protéger les sols. Les lacunes doivent être comblées et les exemptions limitées. Il est aussi essentiel d’améliorer les normes de qualité des régimes de subventions volontaires, dont l’efficacité devrait être analysée minutieusement avant que l’argent public ne soit dépensé.
Cet article, publié à l'origine en anglais sur boell.de, a été traduit en français par Pascal Pierron et édité par Maud Cigalla | Voxeurop