La politique énergétique de la France: Interview croisée avec Zélie Victor, Responsable Transition Energétique au sein du Réseau Action Climat et Yves Marignac, Chef du pôle expertise nucléaire et fossiles Association négaWatt – Réussir la transition énergétique
Romy Strassenburg:
Après le premier quinquennat du président Macron : Quel bilan tirez-vous quant à la protection du climat et la transition énergétique en France ?
Zélie Victor: On a perdu énormément de temps lors du mandat d’Emmanuel Macron. Nous sommes le seul pays en Europe à ne pas avoir atteint nos objectifs d’énergies renouvelables. Nous avons pris également énormément de retard concernant la rénovation des anciens bâtiments. Nous sommes très éloignés d’une vraie transition énergétique, même si les dernières centrales à charbon vont bientôt fermer. Mais globalement, c'est un quinquennat perdu.
Yves Marignac: Je suis tout à fait d’accord. J’ai l’impression qu’il y a une grande désillusion sur l'écart entre le discours et les actes. Le président Macron s’est présenté comme un président qui s’engage pour le climat, il a même essayé de se faire une réputation mondiale avec cette casquette (Make Our Planet Great Again). Malheureusement, au-delà du discours, il n’y avait rien derrière. C’est la politique des petits pas, mais quand il y a urgence, les petits pas ne suffisent pas : il faut se mettre à courir.
Le président Macron n’a jamais vraiment voulu lancer une transition énergétique. Dans son récent discours à Belfort, il a souligné que la France devrait produire plus, qu’il est primordial de mieux puiser les ressources et qu'en principe il n'y a que la limite que le climat nous dicte. Sa vision reste extrêmement productiviste et à aucun moment, il ne souhaite actionner d'autres leviers. D'où l'impasse dans laquelle s'enferme effectivement sa stratégie énergétique et climatique aux dépens des actions réellement nécessaires.
Pourquoi les choses n’avancent pas?
Zélie Victor: La "Convention citoyenne pour le climat" a bien été la preuve que des propositions ont été mises sur la table. Les citoyens ont exigé des changements et les mesures requises étaient vraiment ambitieuses et abouties. Apparemment, la société est prête à accepter certains changements, mais pas le monde politique.
Yves Marignac: Il existe bien évidemment l’influence des lobbies mais hors de là, il y a un problème fondamental : les élites manquent d'une profonde compréhension culturelle pour se projeter dans l’avenir, que cela soit en terme d’approvisionnement énergétique ou d’évolution de la crise climatique. Le Président maintient toujours l'idée que le progrès, la technologie sera la clé pour maintenir la croissance matérielle. Selon lui, si nous ne continuons pas à augmenter notre production, comme le capitalisme l'entend, alors nous ne pourrons pas non plus maintenir le système de protection sociale existant. La société ne peut donc exister qu'en produisant plus. Mais la transition énergétique est justement une opportunité pour repenser et ajuster ce modèle.
Zélie Victor: D'autant plus que l'on croit encore que des solutions technologiques pourraient faire avancer les choses dans les domaines comme l'agriculture ou la production d'énergie. En d'autres termes, la solution est avant tout d'inventer de nouvelles technologies. Mais il s'agit bien plus d'apporter de réels changements, pas seulement d'échanger les technologies pour continuer la production telle quelle.
Macron a annoncé la construction des nouvelles centrales nucléaires. Que pensez-vous de cette décision ?
Yves Marignac: Il y a clairement un problème dans la formation même de nos élites. Elles ont été façonnées par l'image, la vision d'une industrie nucléaire française forte. Nous sommes en face d’une vision dépassée de l'avenir de la production d'énergie. Nous n'avons pas construit de nouvelles centrales nucléaires depuis des années, ou seulement avec de grandes difficultés et en ayant rencontré des soucis importants de sécurité. Les opportunités qui sont liées, même inhérentes à la transition énergétique ne sont pas du tout prises en compte. C'est cela qui fait que nous sommes dans l'impasse actuellement. Est-ce que l’on regarde ce que font nos voisins et leur transition énergétique ? Non ! Si l’on tient compte de l'importance des questions énergétiques – on le voit très bien en ce moment-, celles-ci devraient être tout en haut de l'agenda politique. Il en va de même pour la sécurité internationale dans la situation géopolitique actuelle. Ces deux questions sont étroitement liées. La réponse de la classe politique, c’est que le nucléaire est utilisé pour prétendre qu'il ne faut pas produire moins. Et en parallèle, nous rendons la France de plus en plus dépendante d'une seule technologie, ce qui comporte aussi de grands risques.
Ce n’est pas une solution à long terme. Mais ici aussi, le logiciel intellectuel de nos élites joue un rôle. Il existe un lien étroit entre l'utilisation militaire et civile de l'énergie nucléaire. L'un ne va pas sans l'autre, a déclaré Macron. Afin de maintenir la dissuasion nucléaire, l'énergie nucléaire continuera d'être utilisée à des fins civiles. Si nous regardons maintenant ce qui se passe en Ukraine et les réponses qui sont apportées, nous nous dirigeons vers un futur sombre sur ces questions. Cela nous éloigne de plus en plus des priorités réelles.
Pourtant, contrairement à la France, l’Allemagne s’est mise en danger en termes d’énergie avec la sortie nucléaire et une grande dépendance au gaz et au pétrole russe …
Zélie Victor: Cela ne fait cependant pas de l’obsession française pour le nucléaire une meilleure solution. Nous ne sommes pas non plus complètement indépendants du gaz. Beaucoup moins dépendants que l'Allemagne, c'est vrai. Néanmoins, l'Allemagne a réussi à réduire ses émissions malgré la sortie du nucléaire, alors que nous n'y sommes pas parvenus avec le nucléaire. De plus, il y a presque de la propagande contre l'énergie éolienne de la part de certaines forces politiques. Tous les scénarios indiquent que l'énergie éolienne est un élément crucial de la solution. Si vous regardez la campagne électorale actuelle et la façon dont on présente parfois la production des énergies renouvelables, il est vraiment urgent de travailler l’image de la transition énergétique pour contrer cette hostilité. C'est différent en Allemagne et tant mieux, car cette question est aussi cruciale pour les enjeux futurs, que pour l'économie, pour la santé, pour le domaine social. Il est donc dramatique que cette question ne soit pas devenue un enjeu central de campagne.
Yves Marignac: La guerre en Ukraine montre particulièrement le danger que représentent les centrales nucléaires lorsqu'elles deviennent la cible d'attaques militaires. La France prend ce risque sécuritaire qui la met dans une situation délicate. Donc, oui, la France est plus indépendante que l'Allemagne, mais c'est une indépendance très discutable compte tenu des risques sécuritaires.
Pourquoi est-ce que le climat et l’énergie ont pu disparaître aussi rapidement de l’agenda de campagne ?
Yves Marignac: La situation est paradoxale, car ces derniers mois, suffisamment de rapports, suffisamment de scénarios ont été prévus en ce qui concerne les conséquences du changement climatique. Négawatt n'est qu'un exemple. L'ADEM, un autre. On constate beaucoup de cohérence dans les analyses concernant l'économie, à savoir quel rôle joue le nucléaire et comment garantir une efficacité énergétique. Sur le plan scientifique, de nombreux résultats se sont accumulés, et tous vont dans la même direction. Du côté politique, cependant, les propositions et les actes vont exactement dans la direction opposée. Certains candidats prétendent qu’il faut plus d'énergie nucléaire . Certains d'entre eux sont totalement opposés aux énergies renouvelables, de sorte qu'on ne les voit nulle part offrir une réponse politique qui, selon les experts, serait appropriée. En attendant, avec Fridays for Future et les marches pour le climat, on a vu effectivement des signaux très positifs, une nouvelle génération est en train de se mobiliser pour le climat...
Zélie Victor: Malheureusement, ces mouvements ont perdu de leur élan du fait de la pandémie, ils ne sont plus perçus aussi fortement dans les médias. Mais bien sûr, ils existent toujours...
Yves Marignac: Je pense qu'il y a, de plus en plus, une meilleure compréhension du besoin de changement, comme nos deux organisations l'exigent. C’est notamment perceptible chez les jeunes, il y a des progrès dans la réflexion et c'est aussi la principale source de mon optimisme.
Car là aussi, il y a des progrès dans les attitudes, qui concernent le monde du travail. Je crois donc qu'un potentiel de changements se dessine dans la société française. La prise de conscience, la compréhension, tout cela s'accumule et le terrain se prépare pour les changements nécessaires. Aujourd'hui, ce sont la classe politique et nos institutions, avec leurs structures verticales, leurs hiérarchies, leur centralisme, qui bloquent. Mais un jour, cette énergie émergera pour surmonter les obstacles et faire avancer le changement.
Pour plus d'informations Yves Marignac conseille :
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