Énergies citoyennes en pays de Vilaine est une référence en France. Le collectif de citoyens qui a porté les échecs et les réussites de cette aventure aura contribué à tracer le chemin pour un modèle économique nouveau, mais aussi à changer les mentalités pour que citoyens et collectivités travaillent réellement ensemble.
Comme souvent en matière d’énergie citoyenne, il y a au départ un petit groupe de personnes attachées à une idée neuve pour l’époque : faire sortir de terre un parc éolien en pays de Redon, un territoire au sud de la Bretagne regroupant 43 communes réparties sur les départements du Morbihan, d’Ille-et-Vilaine et de Loire-Atlantique. L’objectif est ambitieux car nous sommes en 2002 et la France ne compte pas plus de 50 MW de capacité pour cette filière alors émergente. Quant à l’approche énergie citoyenne, elle est inconnue. De plus, pour corser l’affaire, la production d’électricité n’est pas la seule aspiration du projet. En effet, dès l’origine, le collectif a la volonté de voir le futur site devenir un outil pédagogique sur la thématique de la sobriété énergétique et de lui permettre de disséminer de l’énergie citoyenne.
Vingt ans plus tard, après de nombreuses difficultés et moments critiques où tout aurait pu s’arrêter, Énergies citoyennes en pays de Vilaine (EPV[1]) est devenu un acteur de référence. Les chiffres sont éloquents puisque la structure a créé 17 emplois, a développé trois parcs regroupant 13 éoliennes pour une puissance raccordée de 26 MW et 42 millions d’euros d’investissement. 2 000 citoyens sont aujourd’hui engagés dans cette aventure, notamment au travers de collectes d’épargne qui auront réuni avec des collectivités 8 millions d’euros.
Comme l’explique Michel Leclercq, ancien président d’EPV, la démarche a été très formatrice : « Dès l’origine, l’envie de notre collectif a été d’être étroitement impliqué dans le développement des projets. Ainsi, entre 2003 et 2005, nous nous sommes associés avec un bureau d’études éolien régional avec une répartition des tâches bien établie. À l’association revenait le travail d’échange avec les riverains et les élus, la maîtrise foncière ou les actions de communication tandis que le volet ingénierie et études techniques (mesure de vent, implantation des éoliennes, etc.) revenaient au bureau d’études. » Hélas, les trois premiers emplacements identifiés se soldent par autant d’échecs : servitudes aéronautiques étendues, impact paysager ou proximité avec un site mégalithique empêchent toute possibilité d’obtenir un permis de construire. Cependant le noyau dur qui compose EPV ne désarme pas et décide alors de porter en parallèle deux nouveaux projets. La décision de continuer l’aventure semblait d’autant plus logique que le collectif avait gagné en expérience par rapport aux débuts.
Malgré les échecs, le groupe a pu se structurer, notamment en ayant créé notre association en 2003, et chacun a pu se forger de vraies expertises en travaillant au contact du bureau d’études, des juristes ou des cabinets d’experts-comptables. Nous avons appris à maîtriser toutes les étapes de préparation d’un dossier éolien, ce qui s’est révélé extrêmement utile par la suite.
La “suite” va justement se matérialiser par deux terrains identifiés sur les communes de Béganne (Morbihan) et Sévérac-Guenrouët (Loire-Atlantique). Fort des expériences passées, le collectif citoyen comprend que pour garder la maîtrise de son projet, il doit financer lui-même les études d’ingénierie préparatoires. La somme nécessaire est évaluée à 150 000 euros pour chacun des deux sites. Le montage financier va alors reposer sur un tour de table tripartite : une participation du collectif citoyen de l’association pour environ 100 000 euros, 90 000 euros provenant du département de Loire-Atlantique et une dernière composante issue de trois clubs d’investissement. Ce dernier point est l’une des ingéniosités d’EPV. L’appel à l’épargne publique étant étroitement encadré par l’autorité des marchés financiers, cette procédure ne permettait d’avoir au maximum que 150 actionnaires dans un tel projet. Une base trop petite pour collecter la part nécessaire au bouclage des 300 000 euros recherchés. C’est alors qu’entrent en scène les clubs d’investissement qui sont des groupes composés de particuliers qui décident de mettre en commun une épargne afin de réaliser et de gérer ensemble un investissement. Chaque club étant considéré comme une personne morale unique, ils permettent de respecter la règle des 150 actionnaires. Les nombreuses réunions d’information d’EPV auprès des communes du pays de Redon (malicieusement baptisées “réunions Tupperwatt”) débouchent sur la création de trois clubs d’investissement et permettent de boucler ainsi le budget nécessaire qui sera placé dans une nouvelle entité : la SARL Sites à Watt. Cette structure sera d’ailleurs la préfiguration du modèle de financement que développera ensuite EPV pour ses futures opérations, à savoir une combinaison entre un groupement de citoyens (au travers de l’association EPV), des particuliers fondateurs, des particuliers (au travers de clubs d’investisseurs regroupés) et des collectivités (généralement au travers de sociétés d’économie mixte – SEM). En 2009 et 2010, les permis de construire respectifs de Béganne et Sévérac-Guenrouët sont accordés, c’est une bataille gagnée !
Cependant, le chemin reste encore long, d’autant plus que la décision finale de lancement des travaux du premier site, celui de Béganne, va arriver dans un contexte très tendu, comme le rappelle Michel Leclercq. « En 2012, le dispositif de soutien des tarifs d’achat pour l’éolien est attaqué par les anti-éoliens sous-prétexte que la mesure n’avait pas été notifiée à Bruxelles. Tout le secteur est dans l’expectative de la confirmation de la mesure par l’État et nos partenaires financiers se retirent, jugeant l’opération trop risquée. Nous étions alors à quelques mois de l’expiration du permis de construire et on risquait de perdre tout le travail réalisé et l’argent investi. Nous avions évalué à 12 millions d’euros le montant des travaux pour Béganne et à 3 millions les fonds propres nécessaires. Dos au mur et sans le soutien des banques, nous avons décidé de remobiliser localement des particuliers pour reformer des clubs d’investisseurs et lancer les travaux. » Le pari est risqué mais, une fois de plus, il est gagnant. 53 nouveaux clubs d’investissement sont ainsi constitués pour une levée de fonds de 1,8 mil- lion. À cette somme vont s’ajouter 300 000 euros apportés par les membres fondateurs d’EPV, 500 000 euros par le fonds Énergie partagée investissement qui réalisera ainsi sa toute première opération et 300 000 euros par une société publique de la région Bretagne (Eilan). Enfin, des acteurs de l’économie sociale et solidaire complèteront les 3 millions de fonds propres. Les travaux sont lancés tout début 2013, quelques mois avant que le dispositif de soutien des tarifs d’achat ne soit pleinement confirmé. Les 8 MW de Béganne sont inaugurés en juin 2014. Suivront les parcs de Sévérac-Guenrouët (8 MW) puis d’Avessac (10 MW), respectivement mis en service en février 2016 et en avril 2017. Fidèle à l’engagement de faire de chacune de ses réalisations un vecteur pédagogique, EPV utilise chaque année les revenus des trois parcs[3] pour financer des actions dans le domaine de la maîtrise de l’énergie auprès des populations locales (journée de formation collective sur la régulation efficace du chauffage, sur la rénovation énergétique, etc.). Pionnier en matière de projet citoyen éolien, EPV sera beaucoup sollicité pour partager son expérience et accompagner d’autres opérations citoyennes en France. Un exercice qui s’inscrit dans son troisième objectif initial : essaimer.
Depuis sa création, Énergies citoyennes en pays de Vilaine aura permis une véritable aventure humaine qui prévoit à l’avenir de nouveaux projets aussi bien en éolien qu’en photovoltaïque. Pour Michel Leclercq, que de chemin par- couru en vingt ans : « Les projets citoyens sont de formidables outils de formation populaire. Tous ceux qui ont travaillé sur les dossiers ou qui ont accompagné les clubs d’investissement sont réellement montés en compétences sur des thématiques très diverses. Par ailleurs, nous avons vu l’attitude des banques évoluer. Très précautionneuses sur les premières opérations, et prenant des frais élevés, elles voient aujourd’hui d’un autre œil nos projets qui versent désormais des dividendes à leurs actionnaires[4]. Enfin les collectivités elles- mêmes auront mené leur révolution à l’égard de l’énergie citoyenne. Au départ, nous avons empiété sur leurs prérogatives en lançant des modèles économiques dans lesquels elles étaient invitées à participer alors qu’avec leurs SEM, elles avaient l’habitude d’être à la barre. Il fallait qu’elles s’adaptent. On dit souvent que les collectivités travaillent pour les citoyens, mais avec nous elles ont appris à travailler avec les citoyens qui eux-mêmes ont aussi appris à travailler avec les collectivités. Cela a pris du temps, mais c’est beaucoup plus facile aujourd’hui. »