Remettre l’énergie au centre du village

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Dans le panorama des projets citoyens en France, les Centrales villageoises ont une place bien à part. Créé au tournant des années 2010, le concept s’est développé pour représenter aujourd’hui près de 400 réalisations. Cependant, pour perdurer, des évolutions sont nécessaires.

Centrales villageoises de la région de Condrieu. Huit bâtiments représentent une surface de 523 m2 de toiture, pour une puissance de 76 kW

« La dynamique des Centrales villageoises se porte très bien », annonce fièrement Étienne Jouin, coordinateur du réseau de l’association. « 2021 a été une bonne année puisque nous avons vu l’arrivée de huit nouveaux collectifs au sein du réseau, pour un total de 59 au niveau national, et les nouvelles centrales photovoltaïques mises en service ont représenté une puissance électrique de 1,7 MW. » Plus de dix ans après sa création, le modèle des Centrales villageoises continue donc de se développer en ayant dépassé depuis longtemps les seules frontières d’Auvergne-Rhône-Alpes, sa région d’origine.

L’idée prend naissance en 2010 où, suite au Grenelle de l’environnement, le gouvernement a mis en place un dispositif de soutien avantageux autorisant les producteurs à vendre leur énergie à un tarif d’achat garanti pendant vingt ans. La filière photovoltaïque est alors en plein essor et le pays voit des légions de développeurs privés démarcher les propriétaires de grandes toitures ou de grands terrains en vue d’y implanter des installations solaires. Parmi les acteurs démarchés figurent les parcs naturels régionaux, qui, pour certains, s’interrogent sur le modèle qui leur est proposé : des sites implantés sans tenir compte ni du paysage, ni des autres usages du foncier et sans qu’aucune retombée économique, hormis les taxes locales, ne bénéficie aux habitants ni aux collectivités. Accompagnés par l’agence Rhônalpénergie-Environnement (RAEE[1]), les parcs naturels de la région imaginent alors un autre mode de développement de sites renouvelables, plus ancré localement, générant des richesses mieux partagées et œuvrant de façon pédagogique aux questions d’écologie. Le concept des Centrales villageoises était né.

Formation structures en région Sud, mars 2020
Formation structures en région Sud, mars 2020

Après une première période où l’approche va se définir en termes juridiques, les opérations pilotes vont se réaliser. Dès 2012-2013, les huit sociétés locales sont créées. Constituées sous forme de SAS (sociétés par actions simplifiées) ou de SCIC (sociétés coopératives d’intérêt collectif), ces sociétés expérimenteront le modèle des Centrales villageoises en rassemblant les collectivités et les groupes de citoyens associés au financement et à la gouvernance des projets. Les citoyens actionnaires peuvent entrer au capital de ces sociétés sur la base d’actions valant généralement 100 euros l’unité et ils peuvent même être extérieurs au territoire quand le statut des sociétés le permet. La rémunération attendue des fonds propres investis est de l’ordre de 2% par an en moyenne sur vingt ans, mais il revient aux actionnaires de décider de la répartition des bénéfices lors des assemblées générales. La première inauguration d’une centrale solaire villageoise a lieu en août 2014 autour de l’opération du Pilat. Huit toitures sur des bâtiments publics et privés pour un total de 500 m2 de panneaux et une puissance de 76 kW, on parle alors d’une grappe solaire.

Ce projet sera la matrice des nombreux autres qui suivront puisque dix ans plus tard, l’association des Centrales villageoises recense 375 installations en service pour une puissance totale de 6,2 MW et une production annuelle d’environ 7 GWh. Au total, ce sont plus de 5 650 citoyens actionnaires et 12 millions d’euros investis dans des réalisations pratiquement toutes tournées autour de l’énergie photovoltaïque. La standardisation des opérations est d’ailleurs une des caractéristiques structurantes des Centrales villageoises pour pouvoir mutualiser à l’échelle du réseau les schémas techniques, les outils d’accompagnement ou les achats d’équipements, et diminuer ainsi le coût des projets.

Depuis 2014, ce sont plus de 5 650 citoyens actionnaires et 12 millions d’euros investis dans 385 Centrales villageoises en France.

Cependant, si le mouvement poursuit sa dynamique, les nouvelles règles mises en place ces dernières années l’obligent à évoluer. En effet, depuis un arrêté du 6 octobre 2021, le cumul du tarif d’achat de l’électricité photovoltaïque et des sou- tiens des collectivités sur les installations solaires de 500 kW ou moins n’est plus possible. « Cette disposition pose surtout un problème pour les projets émergents qui doivent intégrer les coûts de gestion de société dans leur première opération. Or le tarif d’achat en vigueur ne permet pas de dégager suffisamment de chiffre d’affaires, à moins de développer un très gros volume de projets. Les aides régionales permettaient donc aux Centrales villageoises de trouver l’équilibre financier pour leurs premiers projets », explique Étienne Jouin avant de continuer : « Les autres typologies de projets les plus impactés par cette nouvelle règle sont les opérations dans les régions du nord du pays qui ne bénéficient pas du même ensoleillement. »

Centrale villageoise de la région de Condrieu, partie installée sur l’école de la commune des Haies
Centrale villageoise de la région de Condrieu, partie installée sur l’ école
de la commune des Haies

Pour contourner cet obstacle, les opérations sont devenues de plus en plus grosses en termes de puissance installée pour avoir une production et des revenus plus importants. « Là où avant nous avions une quinzaine de toitures de 9 kW chacune, nous devons aujourd’hui développer des tranches de cinq ou six toitures de 30 ou 100 kW, soit des toitures de grande surface qui sont difficiles à trouver en zone rurale. Cela pose problème car, avec ces projets de plus grande envergure, il y a un risque de s’éloigner des piliers de l’approche des Centrales villageoises que sont l’appropriation locale des réalisations, leur caractère rural ou leur démarche pédagogique. » Autre évolution, un intérêt croissant pour l’autoconsommation. Alors que la quasi-totalité des Centrales villageoises avaient choisi la revente totale de l’électricité, fin 2020 l’association Acoprev des Centrales villageoises du val de Quint, dans la Drôme, a ouvert une nouvelle voie en exploitant 120 kW dont un quart est utilisé pour vendre directement l’électricité à 26 consommateurs locaux. L’opération est d’autant plus avant-gardiste qu’après deux ans de discussions avec le ministère de l’Énergie, Acoprev a réussi à faire modifier la réglementation et à obtenir une dérogation pour étendre le projet d’autoproduction collective sur une plus grande surface (20 km de rayon contre 2 km auparavant), pour en faire bénéficier les municipalités voisines. L’opération du val de Quint fait son chemin et pourrait devenir un modèle des futures Centrales villageoises, même si le montage d’un tel dossier est plus complexe.

De leur côté, les régions, en relation avec les structures accompagnatrices de projets citoyens, planchent également sur de possibles adaptations de leurs dispositifs. Une nouvelle fois, Étienne Jouin détaille la démarche : « l’idée serait de modifier les aides pour les orienter sur des travaux annexes comme des renforcements de charpentes ou de toitures avant l’installation des panneaux solaires. Nous attendons encore des clarifications sur la façon dont pourraient évoluer ces aides, encore indispensables au déploiement des Centrales villageoises ».

 


[1] Aujourd’hui Auvergne-Rhône-Alpes Énergie Environnement (AURA-EE) www.auvergnerhonealpes-ee.fr