Vers des cantines scolaires durables ? Entretien avec Franco Fassio

Entretien

Le programme 'Food School 4 Change' vise à transformer les cantines scolaires en moteurs de l'alimentation durable, avec le but d'impacter 600 000 enfants à travers l'Europe.

Temps de lecture: 10 minutes
Franco Fassio, chercheur, professeur adjoint a l’université des sciences gastronomiques de Pollenzo (UNISG)

Entretien realisé par Vina Hiridjee, journaliste indépendante, avec Franco Fassio, chercheur, professeur adjoint à l’université des sciences gastronomiques de Pollenzo (UNISG). 


Vous êtes chercheur dans le cadre du programme de recherche européen "Food school 4 change" Pourriez-vous présenter ce programme et votre approche en tant que concepteur systémique ?

Franco Fassio: Le projet (https://schoolfood4change.eu/) se concentre sur l'alimentation scolaire et en particulier sur les repas servis dans les cantines d'environ 3 000 écoles européennes participant au programme. 

Le projet à terme aura un impact sur plus de 600 000 enfants européens dans 12 États membres de l'UE et devrait toucher environ 2 millions de citoyen·nes européen·ne·s. 

Les écoles deviendront ainsi le pivot de la promotion d'un nouveau paradigme économico-culturel lié à l'acte de manger et à la transition nécessaire vers des systèmes alimentaires durables. L'approche systémique dans ce sens nous aide à développer nos intuitions sur l'ensemble du système alimentaire, à aiguiser notre capacité à comprendre les parties, à voir les connexions, à être ingénieux dans la refonte du système. En adoptant cette perspective, nous travaillons quotidiennement à transformer les écoles en catalyseurs de changements systémiques, circulaires sur le long terme.

Quelle est la mission et le rôle de l'Université des Sciences Gastronomiques de Pollenzo dans ce projet européen ?

L'Université des Sciences Gastronomiques de Pollenzo (UNISG) a été fondée en 2004 dans le but de diffuser la culture et les bonnes pratiques de la durabilité et de la souveraineté alimentaire. Avec ses chercheurs et les chefs du « Food Lab », nous coordonnons des actions visant à améliorer les repas scolaires et à renforcer les capacités des cuisiniers et des cantines par le biais d'un projet novateur intitulé "Planetary Health Diets & Cooking", à savoir la conception d’un régime alimentaire idéal, à la fois pour la santé et l'environnement.

Nous avons récemment achevé une formation visant à introduire et à diffuser des pratiques, des recettes et des menus innovants en matière de cuisine durable auprès des chefs, des responsables de l'alimentation urbaine et des ambassadeur·ice·s de l'alimentation des 12 pays participant au projet, et nous avons commencé à aider les villes/régions participant au projet à reproduire la formation en s'adressant à un plus grand nombre de personnes. Outre la formation des chefs, nos activités comprennent la création d'outils et de contenus de formation (manuels, vidéos, leçons, recueil de bonnes pratiques), le soutien à l'organisation de journées de la cantine, l'expérimentation et la collecte de nouvelles recettes, l'évaluation de leur goût et leur acceptation.

L'un des objectifs du projet est de redéfinir ce que signifie manger sainement et durablement à l'école. Quels sont les premiers résultats ? 

Les deux vecteurs de changement dans lesquels nous voyons le plus grand potentiel sont la reconnaissance du repas scolaire comme module éducatif et la centralité du rôle du cuisinier·e en tant qu'éducateur·ic·e vers une alimentation durable et saine.

Les cuisinier·e·s des cantines choisissent, préparent et servent les aliments en tenant compte de leur saveur, de leur accessibilité mais aussi de leur qualité nutritionnelle. Outre cette grande responsabilité, ils ont la possibilité de soutenir et de défendre les cultures locales et d'optimiser les processus de production en minimisant le gaspillage de nourriture et d'énergie. Par leur travail, ils peuvent faire du repas scolaire un modèle éducatif de promotion d'une alimentation saine, sensibilisant ainsi la communauté environnante de l'école. Les premiers résultats ont été obtenus grâce au dialogue que nous avons eu avec les chefs que nous avons formés dans notre université à Pollenzo et portent sur l'identification d'un langage commun utile au partage des valeurs, des principes et des connaissances nécessaires à la conception, dans les différents pays européens impliqués dans la recherche, d'un repas principalement végétal. 

Qu'est-ce que l'approche alimentaire globale à l'école 

L'approche alimentaire globale de l'école (Whole School Food Approach - WSFA) est utilisée dans les écoles maternelles, primaires et secondaires à travers l'Europe et développée par le projet SchoolFood4Change. C’est une méthode permettant de créer une culture alimentaire saine et durable dans les écoles, contribuant au changement de l'ensemble des systèmes à l'échelle de la communauté et ayant un impact sur l'éducation, le développement durable, les inégalités, les communautés et la santé. C'est une méthode qui contribue à renforcer la résilience territoriale, sociale et environnementale de nos sociétés et qui constitue une approche cohérente et intégrée de l'alimentation et de l'éducation visant à modifier les comportements.

Elle peut être résumée selon les points suivants :

  • La méthode est approuvée par la direction de l'école et inscrite dans la vision, la mission, les valeurs et les politiques de l'école. 
  • Les élèves sont impliqués dans le processus et l’élaboration des menus et le programme s'étend au-delà des portes de l'école, dans la communauté au sens large. 
  • La fourniture d'aliments nutritifs, savoureux et durables à l'école, préparés à partir d'ingrédients frais, de saison et produits localement est systématique 

Dans le cadre de cette approche, les écoles dispensent un enseignement sur les aliments et leurs origines, sur l'alimentation saine et sur l'éducation au développement durable, en abordant les trois perspectives du développement durable : environnementale, sociale et économique. Les élèves, les enseignant·e·s, les cuisinier·es, les familles et l'ensemble de la communauté participent à la promotion de comportements alimentaires sains et sont incité·e·s à bien manger. L'enseignement en classe est enrichi par des activités éducatives pratiques telles que le jardinage, les visites de fermes et en cuisine. Le réfectoire devenant un environnement d'apprentissage supplémentaire. 

Cette approche vise à modifier la culture alimentaire, à contribuer au changement des systèmes globaux à l'échelle de la communauté et à avoir un impact sur l'éducation au développement durable, la durabilité, les inégalités, les communautés et la santé.

L'engagement des écoles en tant que catalyseurs de la transformation du système alimentaire montre l’importance des écoles en tant qu’acteur stratégique pouvant affecter directement les impacts environnementaux et sanitaires du système alimentaire...

Effectivement, les écoles et les municipalités peuvent, par le biais des marchés publics, demander des aliments produits selon des méthodes de culture qui ont moins d'impact sur l'environnement, tout en favorisant le développement économique du territoire et la construction d'une communauté alimentaire basée sur des valeurs liées à la santé et à la durabilité. En outre, le repas scolaire devrait être conçu comme un moment d'éducation et contribuer aussi à la santé des enfants d'aujourd'hui et des adultes de demain. En outre, et surtout grâce à la mise en œuvre d'interventions d'alphabétisation nutritionnelle promues à l'âge scolaire, il est possible d'enraciner des habitudes alimentaires saines et de les faire perdurer dans le temps.

Mais si l'on considère les quantités, les repas scolaires ne représentent qu'une petite partie de ce qui est consommé en une journée dans une ville. Comment peuvent-ils être un vecteur de changement ?

A première vue, leur nombre semble faible, mais à y regarder de plus près, si l'on considère la consommation quotidienne de repas scolaires, il s'agit de plus de 418 millions d'enfants, selon les estimations du Programme Alimentaire Mondial en 2022. Considérons également le rôle fondamental du repas scolaire comme moyen d'assurer l'égalité des chances en matière d'apprentissage, de santé et de lutte contre la pauvreté, représentant pour de nombreux enfants le repas le plus complet et le plus sain de la journée. 

Si l'on prend un peu de recul, nous sommes confronté·e·s à la nécessité d'établir un pacte intergénérationnel pour donner corps à la transition écologique. 

Un changement de paradigme qui doit être aussi traduit par une baisse de la consommation de protéines animales pour réduire l'impact environnemental de la chaîne de production de viande. Pour y parvenir, il faut commencer par l'éducation et choisir un groupe cible dont les goûts et les habitudes alimentaires ne sont pas encore clairement définis. Il faut donc commencer par l'école pour faire comprendre aux nouvelles générations l'importance de l'acte de se nourrir, en adoptant une perspective « One Health », c'est-à-dire que la santé de l'humanité est intimement liée à la santé de la planète.

Quels sont les principaux défis liés à l'alimentation scolaire et aux cantines scolaires en Italie aujourd'hui?

Tout d'abord, il s'agit d'un service qui n'est pas garanti à tous les enfants scolarisés en Italie : un peu plus d'un enfant sur deux (55,2 % des élèves de l'école primaire selon les données du dernier rapport de Save the Children) a accès aux repas scolaires, avec de fortes discontinuités territoriales. Le repas scolaire doit donc être développé, en tenant compte du manque d'infrastructures, de l'insuffisance des investissements réalisés dans le passé et aujourd'hui de la fragmentation de la gestion, et de l'absence de vision commune et de coordination entre les nombreux acteurs impliqués.

D'autre part, si l'on se réfère aux réalités où le service est garanti, les principaux défis à relever à ce jour sont les suivants : le défi de disposer d'aliments de qualité, déduction faite de l'inflation et de l'augmentation du coût des matières premières, du transport et des matériaux d'emballage (entraînant dans certains cas des coûts supérieurs aux prix convenus) ; l'augmentation des tarifs qui menace la capacité de l'école à fournir des repas de qualité, mais aussi à promouvoir des repas scolaires en tant qu'outil de lutte contre la pauvreté alimentaire.

Pourriez-vous nous parler de Fusilli et de quelques expériences innovantes menées à Turin ? 

FUSILLI (https://fusilli-project.eu/) est un projet financé par le programme européen Horizon 2020, qui vise à transformer le système alimentaire urbain. Le projet vise à amorcer une transition holistique intégrée vers des systèmes alimentaires durables, sains et inclusifs dans les zones urbaines, périurbaines et rurales, grâce à des politiques urbaines innovantes et reproductibles qui conduisent à la mise en œuvre d'actions d'amélioration dans toutes les phases de la chaîne de valeur alimentaire. Dans le contexte turinois, les partenaires du projet FUSILLI sont la ville de Turin, l'Université des sciences gastronomiques de Pollenzo (UNISG), l'Université de Turin (UNITO) et, enfin, la Fondazione Comunità di Mirafiori (FCM). Le restaurant social Locanda nel Parco et les jardins partagés d’Orti Generali, situés à la périphérie de Turin, sont également impliqués. Ils travaillent ensemble sur plusieurs objectifs, dont la définition d'un système de politiques alimentaires durables pour la création d'un Conseil de l'alimentation, la planification d'activités éducatives et de sensibilisation sur le thème de l'alimentation, la poursuite de projets liés à l'Atlas de l'alimentation de Turin Métropole, et le développement d'actions concrètes sur 

le concept de Food Hub, donc sur la récupération, la gestion et la redistribution des excédents alimentaires aux segments les plus vulnérables de la population de Turin. 

Plus précisément, l'Université des Sciences Gastronomiques de Pollenzo, en collaboration avec les partenaires mentionnés, agit concrètement dans la dimension de l'économie circulaire appliquée au secteur agroalimentaire (Circular Economy for Food), pour le développement d'un modèle d'entreprise circulaire appliqué au thème de la production, de la transformation et de la consommation d'aliments dans un contexte urbain. Ce modèle d'entreprise circulaire a été concrètement appliqué aux lieux d'Orti Generali et de Locanda nel Parco (FCM). L'objectif final est la conception d'un restaurant et d'un bar circulaires à l’aube du Torino Living Lab 2030, capables de réduire et de prévenir la production de déchets alimentaires, de créer des processus de coévolution territoriale et de préserver le capital naturel et culturel du territoire.