L’UE vient d’entamer des discussions pour réformer la Charte du traité de l’énergie, qui a déjà suscité 130 procédures d’arbitrage souvent coûteuses. De nombreuses voix proposent d’éliminer ce cadre juridique obsolète.
4,3 milliards d’euros : c’est la somme que le gouvernement allemand s’est engagé la semaine dernière à régler à une dizaine d'énergéticiens, avant de passer une nouvelle loi prévoyant l’élimination de toute production d’électricité au charbon d’ici 2038. Dans le protocole d’accord, les entreprises s’engagent à ne pas poursuivre l’Etat devant un tribunal d’arbitrage, comme la Charte du traité de l’énergie, qui date des années 1990, les y autorise. Alors que les négociations de modernisation de ce traité se sont ouvertes le 6 juillet à Bruxelles, l’UE redécouvre un texte oublié. Et qui lui coûte cher.
Signé en 1999, l’accord avait pour objectif de faciliter la coopération internationale et les approvisionnements de l’UE. Mais depuis que la Russie, puis l’Italie l’ont quitté, sa raison d’être est limitée.
« Le traité n’a pas atteint ses objectifs, et en protégeant les énergies fossiles il défend surtout les émissions de gaz à effet de serre ! » constate Yamina Saheb, experte de l’énergie et ancienne responsable de l’efficacité énergétique au sein du secrétariat dudit traité. Un lieu sans âge, au cœur du quartier européen à Bruxelles, aussi désuet et incompréhensible que son site internet.
Envolée des poursuites
En donnant un cadre juridique permettant aux investissements étrangers de recourir à l’arbitrage pour défendre leurs intérêts, le traité a suscité une envolée de poursuites : 130 cas connus, dont une quarantaine de cas contre l’Espagne qui a réduit son soutien aux renouvelables, et en paie aujourd’hui le prix : l’Etat espagnol a déjà dû régler 1 milliard d’euros à des investisseurs privés qui s’estimaient lésés par ses changements législatifs. Du côté des énergies fossiles, le suédois Vatenfall a déjà attaqué avec succès l’Allemagne, et c’est maintenant au tour d’Uniper d’attaquer les Pays-Bas qui veulent sortir du charbon.
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Et le démarrage des discussions cette semaine à Bruxelles est laborieux, faute d’interlocuteurs, en l’absence de la plupart des grands acteurs économiques mondiaux. Le Japon est certes une des parties prenantes, mais ne souhaite pas modifier le traité : s’il a contribué à un premier round de réponses écrites, c’était pour préciser qu’il préfère que rien ne change. Etant donné que les décisions doivent être prises à l’unanimité, les discussions risquent de piétiner.
Sortir du traité ?
Marie-Pierre Vedrenne, vice-présidence de la Commission INTA au Parlement européen et élue Renew estime qu’il faut pourtant faire évoluer le traité, et sérieusement. Et ce plutôt que de tirer un trait sur son existence. Ne serait-ce que parce le texte reste applicable 20 ans durant, après toute sortie. « Il est possible de prendre en compte et d’intégrer les objectifs de l’accord de Paris, et quand on discute avec la Commission européenne on s’aperçoit qu’ils partagent cet objectif » explique l’élue, qui regrette néanmoins le manque de transparence des discussions.
Le rôle trouble du Japon dans les discussions montre aussi les limites de l’exercice : le pays, qui est sorti du nucléaire après la catastrophe de Fukushima, tente visiblement de profiter du traité pour organiser un cadre juridique qui lui permette de s’approvisionner en charbon en Asie.
Un objectif totalement à rebours de l’accord de Paris, donc. « On a interrogé la Commission européenne au sujet du Japon, c’est un des enjeux des discussions » reconnait Marie-Pierre Vedrenne.
Du côté de la gauche, des Verts et de la gauche radicale, les avis sur le traité sont nettement plus tranchés.
« Si on ne remet pas en cause la protection des énergies fossiles, on ne peut pas parler de développement durable » estime l’eurodéputée socialiste Aurore Lalucq, qui assure qu’il faut « mettre un terme à ce type de traité » face à des parties prenantes aux intérêts divergents.
Seul pays à s’exprimer sur le sujet, le Luxembourg a proposé, par la voix de son ministre de l’Energie, Claude Turmes, sur Twitter, que le traité soutienne les énergies renouvelables et l’élimination des énergies fossiles. On en est loin.
« Il y aurait une solution, qui consisterait à ce que tous les pays de l’UE se mettent d’accord pour sortir, ensemble, ce qui limiterait les possibilités de poursuite pour les non-européens. Et sans les contributions européennes, le secrétariat ne pourra plus fonctionner », suggère Yamina Saheb.
Article réalisé en partenariat avec la Fondation Heinrich Böll.