Vers des cantines scolaires durables ? Entretien avec Cindy Delvoye

Entretien

La ville de Villejuif innove avec l'achat d'une ferme pour offrir aux familles du camping et fournir des cantines en produits bios, alliant vacances et alimentation durable.

Temps de lecture: 9 minutes
Cindy Delvoye, Directrice de projet transition écologique de la Ville de Villejuif et de la régie agricole municipale pour approvisionner les cantines

Entretien realisé par Vina Hiridjee, journaliste indépendante, avec Cindy Delvoye, Directrice de projet transition écologique de la Ville de Villejuif et de la régie agricole municipale pour approvisionner les cantines.


Cindy Delvoye, vous êtes directrice du projet transition écologique de la ville de Villejuif. En 2023, votre commune a acheté la ferme des Fremis à Tannerre-en-Puisaye à 155km de Villejuif pour proposer aux habitant·e·s de venir faire du camping à la ferme, mais aussi pour pouvoir approvisionner les cantines de vos crèches en produits bios. Comment est né ce projet de régie agricole municipale ?

Cindy Delvoye : Le projet initial est né de la volonté politique de développer le droit aux vacances au sortir de la crise sanitaire. L'idée, c'était de pouvoir améliorer les possibilités des habitant·e·s de notre commune de partir en vacances. Villejuif est une ville populaire. Les enfants, et de manière générale les familles, ont beaucoup de difficultés à partir en vacances. Partant de ce constat, on a décidé d'acheter un terrain sur lequel les familles pourraient venir camper pendant les vacances. C’est ainsi que nous avons acheté un terrain de 12 hectares à Tannerre-en-Puisaye dans l’Yonne, mais aussi une ferme qui nous permettait de mutualiser deux politiques publiques : celle du droit aux vacances et celle sur l'alimentation durable, puisqu'il y avait une ferme qui cultivait déjà 2 hectares en bio et qui nous permettait d’atteindre l’objectif de 100% des légumes bios dans nos crèches. On s'est demandé aussi comment mobiliser ces produits pour les populations qui en avaient le plus besoin, et on a mis en place des paniers solidaires pour des familles aux revenus modestes qui sont distribués pour un prix de 5 euros au lieu de 20 euros. 

Nous utilisons également le surplus pour les associations de solidarité alimentaire, telles que Le Secours populaire ou les Restos du cœur. 

L'originalité du projet de régie agricole municipale réside dans le fait que le terrain de 12 hectares comprend une ferme avec deux hectares cultivés en agriculture biologique, mais aussi que la mairie ait décidé de salarier les deux paysannes sur place...

C'est vrai que c'était un argument décisif qui nous a convaincu de nous lancer dans ce projet innovant, puisque la maraîchère déjà sur place souhaitait continuer à travailler sur la ferme. C’était un énorme avantage pour la ville puisqu'elle connaissait déjà le terrain, le matériel, elle était déjà formée et avait ses habitudes. Nous n'avions donc pas besoin de recruter, de former ou d'orienter éventuellement la pratique d'un·e agriculteur·ice en bio. C'était déjà fait. 

Et pour la maraîchère, c'était aussi un avantage puisqu'elle obtenait la sécurité de l'emploi en étant contractuelle pour la ville avec un salaire fixe qui ne fluctuait pas tous les mois. 

L’idée derrière, c'était aussi de proposer un modèle gagnant-gagnant des deux côtés. En bio, on dit que c'est un hectare bio pour un maraîcher. C'est pour ça que avons créée deux postes de maraîchères sur ces deux hectares. Sur l'organigramme, elles sont directement rattachées à la direction de la transitions écologique, qui est rattachée à la direction générale. Peut-être que par la suite, elles seront rattachées à la direction de l'alimentation qui est en cours de formation.

Est-ce que les maraîchères ont le statut de paysannes-fonctionnaires aujourd'hui ?

Ce serait possible si elles le souhaitaient. Aujourd’hui, elles sont contractuelles de la fonction publique. Et leurs salaires sont indexés sur les salaires de la fonction publique de manière tout à fait classique. Notre maraîchère qui a beaucoup d'années d'expérience est en catégorie B. Et la seconde maraîchère, qui est plus jeune, est en catégorie C.

Pourquoi la ville a voulu mettre en place une régie agricole et non pas continuer à se fournir localement avec des producteurs du coin et donc passer par le marché public ? 

La régie agricole est un modèle beaucoup plus souple pour nous et vraiment adapté à notre projet alimentaire qui a vocation à s'enrichir et à évoluer. Il nous permet de pouvoir l’adapter sans avoir besoin de changer de cadre juridique. Si on a des contrats avec des entreprises, comme c'est le cas pour nos cantines scolaires, c'est assez compliqué si on veut changer de direction ; on s'engage pour des années et il est très difficile de faire évoluer les contrats. Donc, pour nous, c'est un modèle qui est beaucoup moins contraignant et qui nous permet aussi d’obtenir des légumes bios à des coûts moins exorbitants que sur le marché. Le fait qu'on ait une régie agricole municipale équivaut à un service municipal à part entière, comme le service des sports ou de la culture. Ce sont des agents de la ville qui y travaillent avec pour objectif de satisfaire les besoins de la population. 

Cette ferme est située à 1h45. Est-ce qu'on peut considérer que c'est de la production locale pour la ville de Villejuif ?

Pour nous, ça reste de la production locale. Alors après, évidemment, on va dire que la limite se situe à 100 kilomètres pour qu'on se soit véritablement considéré comme local. Nous, on estime que 155 kilomètres, c'est vraiment du local. On est vraiment en grande proximité, on fait du bio, c'est fait par nous-mêmes, et ça nous permet d'avoir un vrai contrôle sur ce qui est produit. On organise une seule livraison par semaine pour les crèches et les paniers solidaires de la ville; les cantinier·e·s indiquent les quantités de légumes dont ils ont besoin le vendredi ; le lundi, la récolte est faite et le mardi, les produits sont livrés le matin entre 7h00 et 10h00 à Villejuif.

Comment avez-vous travaillé justement avec les cantinier·e·s ? 

On a organisé des formations pour nos cuisinier·e·s. C'était important pour nous, puisque notre approvisionnement changeait complètement leur manière de travailler. Auparavant, ils passaient des commandes chaque semaine qui différaient d’une crèche à l’autre. Chaque cuisinier·e faisait à manger comme il ou elle le souhaitait dans sa crèche. Aujourd’hui, les cuisinier·e·s doivent travailler avec les légumes de saison, ce qui est plutôt bien accepté. Nos cuisinier·e·s sont assez satisfaits de ce changement de pratique. On a aussi organisé des visites à la ferme pour qu’ils puissent travailler main dans la main avec notre maraîchère. C'était important pour nous parce que ça permettait de pouvoir faire se confronter deux réalités. Ils n'avaient jamais travaillé ensemble.

La maraîchère a pu aussi découvrir les enjeux des cuisinier·e·s : comment est-ce qu'ils s'organisaient dans leur cuisine, à quel moment ils avaient besoin des légumes. Et inversement, les cuisiniers ont aussi pu prendre conscience que les légumes ne poussaient pas tout seul ! Mais surtout que la maraîchère avait besoin de connaître leurs besoins chaque semaine pour pouvoir organiser ses cultures. Ensuite, on a organisé une formation pour les cuisinier·e·s, pour rappeler les enjeux nutritionnels, rappeler les enjeux de saisonnalité, parce que c'est vraiment l'un des cœurs du problème, la saisonnalité.

Il y avait beaucoup de cuisinier·e·s auparavant qui commandaient encore des légumes d'été en hiver, ce qui, pour nous, n’était pas envisageable. 

Et ensuite, on a retravaillé les menus pour essayer de les harmoniser entre les différentes crèches.

Quelles ont été les difficultés pour mettre en place ce projet ? 

C'est un projet assez innovant. Il y a peu d'exemples qui existent en France. La ville de Mouans-Sartoux est un bon exemple de modèle de régie agricole. Vannes, aussi, qui a mis en place des choses similaires sur son territoire. Mais finalement, il y a peu de collectivités en France, donc peu d'exemples. Le fait d'internaliser une régie agricole et d’imaginer un modèle juridique pouvait faire peur, puisqu'évidemment, c'était une compétence qui ne paraît pas évidente pour une collectivité.

Il a aussi fallu démontrer que ce projet ne serait pas un gouffre financier, mais qu'il était même au contraire plutôt opportun à moyen terme avec le contexte d'explosion des prix alimentaires, 

en particulier du bio, mais aussi des prix des séjours, puisqu'on est vraiment sur ces deux aspects là. On a dû financer sur nos fonds propres, puisque nous n'avons pas trouvé de subventions. Au total, cette ferme sur 12 hectares nous a coûté autour de 520 000 €, incluant l’achat du terrain, du matériel agricole et des bâtiments avec les chambres froides et le matériel de transformation. Si on compare l'achat d'un foncier à Villejuif, c’est 650 000€ pour 500 mètres carrés ! 

On est au cœur des enjeux de la démocratie alimentaire avec ce projet alimentaire territorial...

Effectivement, on souhaite également s'inscrire dans une politique de territoire zéro précarité alimentaire, TZPA. L'idée serait de pouvoir expérimenter, sur différents territoires franciliens, la possibilité de pouvoir aller plus loin sur les questions de précarité alimentaire et d'expérimenter de nouvelles choses. On en est vraiment encore au tout début de ces réflexions, mais Villejuif a d'ores et déjà intégré dans le volet alimentation la question de la précarité alimentaire. C'est vraiment l'un de nos principaux enjeux au même titre que le gaspillage alimentaire, que l'accès de tous à des productions bios et de qualité locaux. Dans le cadre du TZPA, nous réfléchissons aussi à mettre en place le dispositif autour de la sécurité sociale de l'alimentation  Pour le moment, on ne sait pas encore dans quelle tranche on pourra l'intégrer. Il y a la question, bien sûr, du financement. C'est un projet dans son ensemble vraiment très riche aux multiples facettes et qui est très différent de ce qui se passe ailleurs. Nous allons aussi proposer aux jeunes de Villejuif des jobs à la ferme cet été pour qu’il puissent découvrir le travail agricole. Ce sera vraiment intéressant pour ces jeunes. Ça pourra leur permettre de découvrir autre chose et les reconnecter à la nature. Évidemment, au début, ils vont trouver ça terrible, mais peut- être qu'à la fin, ils seront contents de travailler, ailleurs, les mains dans la terre.