La politique climatique d'Emmanuel Macron: paroles, paroles?

Analyse

« Make our planet great again » : tel était, en juin 2017, l’engagement du jeune président français Emmanuel Macron, quelques mois après son élection. Un discours et un engagement international qui lui vaudront d’être sacré « Champion de la Terre » par l’ONU. « Personne n’a fait autant que nous » pour le climat, dira-t-il quelques années plus tard, en décembre 2020, à la veille de la publication de la grande loi climat, tant attendue depuis le début du quinquennat.

Emmanuel Macron au One Planet Summit

« L’Affaire du siècle » : la France condamnée pour son manque d’ambition climatique

Le président français semble avoir raison sur un point : les précédents gouvernements n’ont pas été à la hauteur des objectifs climatiques. Et ce ne sont non seulement des militants écologistes ou les ONG environnementales qui le disent, mais aussi le tribunal administratif de Paris. Portée devant la justice par quatre associations soutenues par plus de 2 millions de signataires de ce qui est devenu la pétition la plus signée de France, « l’Affaire du siècle » a mis l’Etat devant ses responsabilités : le 3 février 2021, le juge le condamne pour « carences fautives », la France n’ayant pas été en mesure d’atteindre ses engagements de réduction des gaz à effet de serre (GES) sur la période 2015-2018.

Le 7 février 2021 – pure coïncidence ? – le gouvernement publie les résultats consolidés des émissions de gaz à effet de serre pour l’année 2019. Comme pour mieux montrer leur supériorité sur leurs prédécesseurs, le président et le gouvernement se félicitent d’une baisse de 1,7 % « plus forte qu’attendue » et allant « au-delà de l’objectif fixé dans la Stratégie nationale bas-carbone » (1,5 %)…

Tweet d'Emmanuel Macron sur les objectifs climatiques

Le hic ? Initialement, l’objectif de diminution était de -2,3 % pour 2019. Début 2020, le gouvernement a revu les objectifs pour la période 2019-2023 à la baisse au motif que la France « ne serait pas en mesure de les atteindre » – et ce alors que les experts du climat insistent sur la nécessité d’accélérer l’action climatique dans les prochaines années plutôt que de remettre les efforts à plus tard. La Ministre de l’écologie, Barbara Pompili, accusée de se féliciter d’un résultat en trompe l’œil, se justifie ainsi : « je préfère avoir une ambition moins haute mais y arriver plus tôt qu’une ambition très haute et ne jamais rien faire ». En lieu et place d’amplifier les mesures et d’agir pour tenir des objectifs pourtant essentiels pour atteindre la neutralité carbone en 2050, le gouvernement préfère donc adapter sa feuille de route. Pour être le meilleur élève, rien de plus simple : il suffit de choisir soit même son barème.

Quelques mois auparavant, c’était un acteur tout aussi peu « radical » que le Tribunal administratif de Paris, le Conseil d’Etat, qui, répondant à une requête de la Mairie de Grande-Synthe, demandait au gouvernement de justifier de l’absence de mesures complémentaires destinées à atteindre l’objectif climatique de -40 % d’émissions en 2030. Le Gouvernement entend y répondre, par ce qu’il annonce être sa « grande loi » pour le climat.

La loi « Climat et Résilience » :  de la poudre de perlimpinpin?

Le 4 décembre 2020, à l’occasion d’une grande interview par le média en ligne Brut, le Président ne tarit pas d’éloges sur l’action de son gouvernement. Répondant notamment aux 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat – qu’il avait installée en 2019 en réponse à la crise des gilets jauneset leur garant Cyril Dion, qui s’étaient permis de critiquer les reculs du gouvernement sur la politique climatique, le Président de la République rétorque : « Je ne veux pas dire que parce que les 150 citoyens ont écrit un truc, c'est la Bible ou le Coran » et se dit « vraiment très en colère contre des activistes qui m'ont aidé au début et qui disent maintenant, il faudrait tout prendre ». Problème : le Président Emmanuel Macron, en installant cette Convention, avait fait aux citoyen-ne-s une promesse, répétée à plusieurs reprises. Au Palais d’Iéna où siégeait la Convention, comme dans les jardins de l’Elysée à l’été 2020, il s’était engagé à reprendre « sans filtre » les propositions faites, ne posant alors que « 3 jokers ».

Mais que sont donc devenues les 149 mesures proposées par "les 150" ? D’après le journal Le Monde, entre les décisions prises par voie réglementaire et le projet de loi « Climat et Résilience », qui entend transcrire les propositions de la Convention, seules 18 mesures sont reprises intégralement. 78 d’entre elles sont reprises partiellement : pour la plupart, le gouvernement reprend l’intention, mais pas le niveau d’ambition ou de contrainte que proposaient les 150 citoyens et citoyennes. Le Réseau Action Climat, qui avait établi une liste de « 15 mesures particulièrement structurantes » relève pour sa part que sur ces 15 mesures, l’ambition du gouvernement est en deçà de celle de la Convention citoyenne pour le climat.

Un exemple : la proposition d’interdire certains vols intérieurs. Là où la Convention citoyenne pour le climat proposait d’interdire les liaisons aériennes intérieures réalisables en moins de 4 heures de train, le gouvernement ne retient que les liaisons en moins de 2h30. Ainsi, la mesure ne concerne qu’entre trois et cinq lignes aériennes selon les calculs des ONG, parmi lesquelles Paris-Nantes, Paris-Lyon ou Paris-Bordeaux – des trajets effectués en deux heures ou moins de TGV. Elle comprend surtout des exceptions pour les vols transportant « majoritairement » des passagers « en correspondance » ou les vols qui seraient « décarbonés » (c’est-à-dire compensés intégralement par les compagnies aériennes).

La façade est soignée : tout y est et le projet de loi s’ouvre sur les noms des 150 citoyens ayant participé aux travaux de la Convention. Mais à y regarder en profondeur, les propositions les moins consensuelles ou les plus contraignantes, mais aussi les plus efficaces, sont délayées ou abandonnées. Ainsi, le président a rompu sa promesse envers les citoyens : le « sans filtre » s’est transformé en une jolie poudre de perlimpinpin. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), mais aussi le Conseil National de la Transition écologique, tout comme le Haut conseil pour le climat s’accordent tous sur un point : ce projet de loi demeure insuffisant pour atteindre l’objectif climatique de la France - diminuer de 40 % les émissions d’ici à 2030. Et ce alors que les deux tiers (67 %) des Français approuvent le vote par le Parlement européen d’un objectif de réduction de 60 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, et que les chefs d’Etats et de gouvernement européens – parmi lesquels Emmanuel Macron, qui s’est montré particulièrement volontaire et offensif - ont adopté un objectif de -55 % d’émissions à 2030.

Quant aux 150 citoyens, ils jugent sévèrement la prise en compte de leurs mesures par le gouvernement : lors de leur dernière session, ils lui ont attribué la note de 2,5 sur 10. Un véritable camouflet.

Notation du gouvernement par les 150 citoyens

Le bilan climatique d’Emmanuel Macron : l’important n’est ni le but, ni le chemin…

Les présidents français ont souvent été lyriques au sujet du climat.« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » déclarait le président de la République Jacques Chirac le 2 septembre 2002 au Sommet de la Terre à Johannesburg. En 2007, c’est Nicolas Sarkozy, qui promettait, à l’ouverture du Grenelle Environnement « Une révolution dans nos façons de penser et de décider. Une révolution dans nos comportements, dans nos politiques, dans nos objectifs, dans nos critères (…) un New Deal écologique en France, en Europe, dans le monde ». Mais, depuis que le climat est inscrit à l’agenda politique, les présidents français ont été aussi constants à promettre une révolution écologique, qu’à échouer à la faire advenir.

« Notre maison brûle » : quand Jacques Chirac alertait sur le sort de la Terre - Le Parisien

video-thumbnailWatch on YouTube

« Notre maison brûle » : quand Jacques Chirac alertait sur le sort de la Terre - Le Parisien

video-thumbnailWatch on YouTube

Emmanuel Macron lui aussi, promettait, en 2017, le grand soir de l’écologie. Dans une interview avec le WWF au cours de la campagne présidentielle, il dira de son programme écologique qu’il est un nouveau « projet de civilisation ». Depuis le début du quinquennat, des mesures environnementales et climatiques ont certes été prises – et certaines avec succès. Le « plan climat » annoncé à l’été 2017 devait être l’acte fondateur d’une ambitieuse politique gouvernementale. Fixant de grands objectifs par secteur pour atteindre la neutralité carbone en 2050, les ONG attendaient toutefois les mesures concrètes nécessaires à sa mise en œuvre, qui tardent à venir.

Dans le secteur des transports (environ 30 % des émissions nationales), la prime à la conversion, qui incite les Français et notamment les ménages les plus modestes à changer leur voiture pour un autre véhicule moins polluant, a connu un vif succès : plus de 800 000 primes ont été accordées depuis 2018. Le nombre de véhicules électriques vendus en France a explosé (on dénombre 430 000 véhicules électriques en circulation) mais l’objectif du million de véhicules en circulation en 2022 semble difficile à atteindre. Si l’usage du vélo a connu un boom manifeste - le gouvernement a mis en œuvre un « plan vélo » dont il a rehaussé l’ambition – sa progression dans l’espace public est d’abord le résultat de politiques locales menées par les communes, dont certaines ont fortement investi dans de nouvelles infrastructures à destination des cyclistes.

En matière de politique énergétique, la promesse de fermer les quatre dernières centrales à charbon françaises avant 2022 ne sera probablement pas tenue dans les délais prévus : une dernière centrale (Cordemais) doit rester en fonctionnement jusqu’à 2024 ou 2026. L’objectif de diminution de la part du nucléaire dans le mix électrique a quant à lui été repoussé à 2035, et la France est en retard sur ses objectifs en matière d’énergies renouvelables (en particulier dans l’énergie éolienne et l’énergie solaire). Et si Emmanuel Macron annonçait fièrement  fin 2017 que la France devenait « le premier pays développé » à interdire « la recherche et l’exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels », cet engagement se révèle une fois de plus fortement affaibli par des exemptions[1] et demeure symbolique : gaz et pétrole extraits du sous-sol français ne représentent qu’un pourcent de la consommation du pays.

Quant au plan de relance face aux conséquences économiques de la pandémie de COVID-19, annoncé à l’automne 2020, 30 milliards (sur un total de 100 milliards) sont consacrés à l’écologie. Si la France se distingue d’autres pays en ne subventionnant pas directement les énergies fossiles par le biais du plan, le Haut Conseil pour le Climat alerte toutefois sur la majorité de ses mesures « dans la continuité » des politiques actuelles, qui présentent « le risque d'un verrouillage dans des activités fortement émettrices à long terme ».

De l’avis de nombreuses ONG, mais aussi du plus institutionnel Haut Conseil pour le Climat, le Président de la République et le gouvernement doivent donc encore faire leurs preuves : ce Haut Conseil pointait ainsi dès son premier rapport publié en 2019 un « manque de cohérence » entre l’action de la France et ses engagements nationaux et internationaux et insistait alors, comme à nouveau dans son dernier rapport publié en 2020 sur la « trop lente et insuffisante » réduction des émissions de gaz à effet de serre de la France.

…c’est la communication

Le gouvernement a en réalité – surtout ? - tenu à mettre en scène des décisions tonitruantes à haute valeur symbolique pour les militants écologistes, comme pour mieux montrer son engagement pour le climat : abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes[2], « incompatibilité »du projet de la Montagne d’Or en Guyane française (un projet qui menace pourtant toujours l’Amazonie française[3]),  fin du projet de centre commercial et de loisirs Europa City prévu sur des terres agricoles, arrêt du projet de construction d’un nouveau Terminal à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle… autant de « victoires écologistes » que le gouvernement entend s’approprier, alors qu’elles sont avant tout le résultat de plusieurs années de mobilisation citoyenne, entre manifestations, occupations pacifistes et actions juridiques.

Mais le clou du spectacle est sans doute l’annonce du référendum sur le climat. Le 14 décembre 2020, les citoyens sont déçus : le Président, qui rend compte de son action auprès de représentants de la Convention, reste très vague sur la reprise des propositions dans le futur projet de loi. Mais Emmanuel Macron a préparé un joli lot de consolation : il annonce, la tenue « possible » d’un référendum sur la modification de l’article 1er de la Constitution, afin que celui-ci mentionne que la République doit « garantir la préservation de la biodiversité, de l'environnement et lutte contre le dérèglement climatique ». Un coup habile : un tel référendum sur le climat serait inédit en France. Les citoyens de la Convention y tiennent particulièrement, convaincus qu’une victoire du « oui » apporterait une avancée juridique majeure pour la protection du climat. Mais comme toujours, le diable se cache dans les détails : la tenue d’un tel référendum exige que l’Assemblée nationale et le Sénat adoptent le même texte, à la virgule près. Or le Sénat est contrôlé par une majorité de droite et de centre-droit et il apparaît pour le moins incertain que l’opposition fasse un tel cadeau au Président avant l’échéance électorale de 2022. L’engagement du président relève donc au mieux d’un pari très – trop ? – ambitieux, et au pire, d’une manœuvre de communication non dénuée de cynisme.

"En matière de politique climatique il ne suffit pas de « faire plus » que ses prédécesseurs – c’est, au vu de la situation, un minimum vital, et vu le bilan de ces derniers, une tâche plutôt aisée – : non, pour agir efficacement, il faut faire « assez »

Les exemples en la matière sont légion. Ils montrent que pour le gouvernement français, le climat est d’abord une opportunité de communication, avant d’être une urgence face à laquelle il faut agir. « Personne n’a autant fait que nous depuis 3 ans. Personne. Je n’ai pas pris des lois pour dans dix ans, pour les générations à venir (…)  Je n’ai pas de leçons à recevoir » disait le chef de l’Etat en décembre 2020. Seulement, en matière de politique climatique il ne suffit pas de « faire plus » que ses prédécesseurs – c’est, au vu de la situation, un minimum vital, et vu le bilan de ces derniers, une tâche plutôt aisée – : non, pour agir efficacement, il faut faire « assez ».  Si l’ambition affichée pour le climat et le volontarisme diplomatique dans la défense de l’Accord de Paris sont louables, reste que, comme le souligne Laurence Tubiana, cheville ouvrière de cet Accord international inédit : « Le leadership climatique, aujourd'hui dans le monde, c'est moins ce qu'on mène comme initiative diplomatique que ce qu'on fait chez soi, et c'est la crédibilité de l'engagement au niveau national ». La France, donc, se cherche encore un leadership climatique.

 

 

 

 

[1] (les permis d’exploitation déjà existants peuvent être prolongés jusqu’en 2040, et même au-delà, sous certaines conditions)

[2] Ainsi, le ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari se targuait-t-il récemment de l’abandon « par son gouvernement » du projet de Notre-Dame-des-Landes, un nouvel aéroport à Nantes contesté depuis les années 1970 – un projet qui, sans la mobilisation continue de militants et citoyens sur le terrain, aurait été construit de longue date, et dont l’abandon définitif avait été une condition de l’entrée de Nicolas Hulot au gouvernement.

[3] En août 2019, dans le cadre du sommet du G7 à Biarritz, alors que des incendies ravagent l’Amazonie, Emmanuel Macron s’empare du sujet de la déforestation et promet d’agir à l’échelle internationale. Quelques mois auparavant, il annonçait que le projet de mine d’or controversé en Guyane, en pleine Amazonie française, était « incompatible » avec la politique écologique du gouvernement. Seulement, il s’avèrera par la suite que le projet n’est pas formellement « arrêté », et que le gouvernement a failli à mener le combat juridique nécessaire pour le voir définitivement enterré : les entreprises portant le projet entendent le mener à bien, sous une forme ou une autre.]